Bouquin #110 : Tokyo Vice, de Jake Adelstein

[Tokyo Vice – Jake Adelstein – 2009]

Il faut parler, d’abord, de cette toute jeune maison d’édition. Marchialy. Une famille de passionnés sûrement un peu fous et leur pari osé (gagné !) de s’imposer dans le monde de la narrative non-fiction avec un premier bouquin costaud, solidement travaillé et à la com’ judicieusement assurée. Il faut parler, aussi, de l’objet : son illustration de couverture à couper le souffle, son rouge qui alerte et émoustille, son intérieur calibré, agréable à l’œil. Et puis ce titre : « Tokyo Vice », bon dieu, ça promet du lourd !

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Je lorgnais donc sur ce récit depuis sa parution, il y a déjà un an : peine prise en patience, je l’ai retrouvé sous le sapin, et j’ai attendu la sacro-sainte calme période des vacances scolaires (mes dernières avant la « vie active », #RIP), pour croquer dans le morceau.

C’était, tout à la fois : piquant dangereux excitant drôle angoissant nostalgique inquiétant.

Et culotté.

Le rideau s’ouvre sur une scène pétrifiante : deux hommes de main promettent à un journaliste de le descendre s’il ne s’engage pas à abandonner son travail de fouine. Ce type-là, bien démuni, c’est Jake Adelstein : premier gaijin (étranger) à avoir intégré la rédaction du Yomiuri Shinbun, grand quotidien japonais pour lequel il enquête sur le crime organisé. Nous voici donc dans le grand bain, bien loin du fantasmé kawaii nippon : à trop vouloir démêler de sombres affaires, Adelstein s’est mis à dos la mafia locale – et non négligeable – des yakuzas, ces gros durs aux phalanges amputées et aux corps tatoués sous leurs costumes impeccables – tout un folklore à prendre au sérieux.

Jake-san s’est donc fourré dans le pétrin. Comment en est-il arrivé à cet extrême ? Tokyo Vice retrace le parcours, depuis l’entrée inespérée, à 24 ans, de l’étudiant novice dans l’impressionnante matrice du premier quotidien national. Tout se joue sur le hasard : Adelstein est promis à un poste chez Sony, mais souhaite tester son niveau de japonais en passant, un peu pour rire, les examens d’embauche du Yomiuri.

Il est pris : on se dit que ce garçon est doué. Filou même, avec un sens inné du contact : c’est la clé du succès. Infiltré un peu partout, dans la poche de ses sources qu’il ménage à l’affect, Jake Adelstein développe son réseau, cible ses intérêts et passe à la vitesse supérieure en approchant, de plus en plus près, le milieu hostile du crime organisé.

On traîne à ses côtés au poste central de police, dans les bars à « hôtesses » de Kabukicho et Roppongi, à gratter sous le vernis pour voir si ça bouge : et quelles horreurs découvre-t-on ! Blanchiment d’argent, esclavage sexuel, meurtres énigmatiques : il y a de quoi remplir les colonnes, et perdre la raison.

C’est aussi cela donc Jake témoigne : cette frontière, que l’on croit pouvoir définir, entre le travail et l’émotion, entre le public et le privé. Jusqu’où aller pour dénoncer le vice et clamer la justice ? En d’autres termes : à quel niveau consumer sa santé mentale et foutre en l’air le bien-être de ses proches ?

Tokyo Vice ne livre pas de réponse, sinon celle, passionnante, de l’expérience et du combat sans fin d’un journaliste pour faire valoir la vérité – gage de démocratie – dans un pays où le crime flirte avec les institutions et tient les civils au silence. On pourrait craindre des poussées d’ego, un portrait de l’artiste en sauveur : que nenni ! Bien au contraire, Adelstein se livre sans voile et expose ses erreurs et repentances au même titre que ses réussites, le tout avec cette plume acide, souvent drôle et très énergique, qui tient en haleine des heures durant – comme un bon polar. On s’étonne, on s’effraie, on apprend à chaque ligne, on prend la chair de poule pour ce héros bien vivant et très fou : de cette dangereuse promenade tokyoïte, je ressors plus qu’enthousiaste, et je ne peux que recommander Tokyo Vice aux amateurs de sensations fortes, de poils dressés, de bars miteux, de journalisme engagé, d’histoires couillues, du Parrain, de flics coiffés au poteau…

14 réflexions sur “Bouquin #110 : Tokyo Vice, de Jake Adelstein

  1. Je vais le lire, c’est obligé !!! Chronique TRÈS TRÈS alléchante, comme je l’espérais ! Je n’ai jamais lu de narrative non-fiction et compte bien combler cette lacune en lisant Tokyo Vice. Je ne saurais dire précisément pourquoi, mais quand tu as annoncé sur les réseaux sociaux que tu lisais ce livre, il m’a de suite tapé dans l’œil : couverture, titre, genre hybride… Sans doute ma prochaine lecture, alors merci beaucoup pour cette prometteuse découverte 🙂

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  2. Je l’ajoute dans ma liste de livres à lire ! Je ne connaissais pas du tout cette maison d’édition donc merci pour cette découverte. Et le livre a l’air top ! J’adore ce genre de récits car on y apprend beaucoup de choses. Je ne connais pas tant que ça le Japon donc je suis curieuse d’en savoir plus.

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