[Le dernier des yakuzas – Jake Adelstein – 2017 – Merci Marchialy pour le SP ! 🙂 ]
Qu’est devenu le culotté Jake Adelstein après avoir balancé les frasques illégales de Tadamasa Goto, ponte de la mafia japonaise, par voie de presse ? On peut parier que le bonhomme, pour intrépide qu’il soit, a plutôt chaud aux fesses. Et pour cause : le Parrain et toute sa clique, version Soleil levant et cerisiers en fleurs, s’est lancé à ses trousses et compte bien avoir sa peau. Mais le journaliste ne se laisse pas intimider : il réplique en engageant pour garde du corps un ancien yakuza au ravissant surnom de « Tsunami » et aux manières tout aussi brutales. C’est ainsi que Saigo, faux repenti en disette de violence, fait son entrée dans la vie d’Adelstein. Et que ce dernier, par contrat de mégalomanie, se retrouve à écrire, en échange, la biographie de son protecteur…
Point de mise en scène, d’investigation et de périls frôlés à la première personne, donc, dans ce que l’on pourrait croire être la « suite » de Tokyo Vice, mais qui constitue surtout, à mes yeux, son approfondissement. Si le premier opus des récits Adelsteniens, publié l’an dernier chez Marchialy, nous en apprenait déjà beaucoup sur les dessous de la mafia jap, Le dernier des yakuzas offre un nouvel éclairage, presque universitaire, sur l’histoire et la constitution des groupes armés dans le japon mouvant du siècle dernier – de leurs balbutiements presque inoffensifs à leur déclin dans la décadence.
Saigo, lui, s’immisce en plein milieu, par la voie de petite délinquance : chef d’un gang de motards, le minot du cambouis n’en perd pas le sens des affaires – approché pour cette qualité, et pour l’ampleur de sa horde, Saigo rejoint le Sumiyoshi-Kai, deuxième organisation de yakuzas du pays, en 1982. Il faut alors s’intégrer, et gravir les échelons : en d’autres termes, toucher au porte-monnaie et cracher les biffetons.
L’argent, plus que la violence, régule en effet le quotidien de tout bon yakuza : oubliées, les extorsions à la petite semaine ; désormais, le mafieux agit en toute légalité – ou presque – dans les milieux de la finance, et que le blé pleuve ! Les sommes s’inscrivent à multiples zéros mais ne restent jamais bien longtemps sur les comptes en banque : toute occasion est bonne à prendre pour dégainer le carnet de chèques et arroser son supérieur, avec l’espoir, un jour, d’acquérir soi-même le statut de super-boss gonflé aux as.
Fut un temps ou le respect – sincère, non monnayé – règlementait encore les agissements des yakuzas, entre eux comme auprès du public, d’ailleurs jamais inquiété. Age d’or d’intégrité auquel Saigo ne goûte que trop peu, car déjà l’étau des lois se resserre, et l’appât du gain agite les sous-fifres. Traqué par la police, évincé de sa propre organisation, Saigo quitte un monde qui a tatoué son corps et sa mémoire.
Deux hommes : pour l’un l’action et les souvenirs ; pour l’autre la connaissance et l’intuition. Le dernier des yakuzas, fruit de la rencontre entre Adelstein et son Tsunami, possède cette double richesse et adopte une silhouette hybride, tantôt biographie, tantôt essai sur les gros-bras nippons et leur considérable envergure. C’est parfois un peu brouillon, et l’on sent volontiers qu’Adelstein a craché dans cette deuxième parution toutes les infos qu’il ne pouvait caser dans Tokyo Vice – il faut donc s’accrocher pour ne pas perdre le fil entre les dates, les noms, les copinages changeants. Il m’a manqué, sans doute, un peu de sel pour faire passer quelques longueurs – si Jake Adelstein excelle à nous faire vivre ses années d’investigations, force est de constater que l’exercice biographique est un peu moins maîtrisé et quelquefois bien flou (pour sa défense toutefois, il est surement utile de préciser que j’ai lu Le dernier des yakuzas avec un cerveau à moitié en panne – mais heureusement depuis, j’ai eu des congés, yay !) Mieux vaut donc, pour qui souhaiterait se pencher sur le sujet, lire en premier l’excellentissime Tokyo Vice – ça tombe bien, la version poche vient de sortir chez Points !
Bonjour
J’avais apprécié Tokyo Vice pour sa dimension « documentaire », mais la forme m’avait un peu déçue (notamment l’écriture, et la construction qui m’avait semblé chaotique : j’y avais déjà trouvé cet « aspect brouillon » que tu évoques ici). Du coup, malgré l’intérêt que présente ce titre, je crois que je m’abstiendrai…
Bon week-end.
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Ha, dommage pour Tokyo Vice… je n’avais pas relevé le vice de forme, mais en effet, si Le dernier des yakuzas m’a paru un peu brouillon, il vaut peut être mieux que tu fasses l’impasse (même si par endroits, c’est absolument passionnant)
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J’ai terriblement envie de lire Tokyo Vice et à chaque fois que je le vois en librairie je ne peux m’empêcher de le prendre dans mes mains. J’attends encore un peu, je privilégie mes lectures obligatoires pour mon master mais une fois libre je me jetterai dessus.
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Bon courage pour le Master alors, et vivement la fin que tu puisses alors découvrir Tokyo Vice, un régal !
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J’ai tellement envie de découvrit Tokyo Vice et comme et le poche me fait de l’œil ! Ta critique me donne encore plus envie.
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Oh oui, fonce, c’est un super bouquin ! Bon dommage que la mise en page poche ne soit pas aussi canon que celle du grand format (Marchialy fait vraiment un super boulot) mais l’essence reste la même.
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