Bouquin #211 : La nuit des béguines, d’Aline Kiner

[La nuit des béguines – Aline Kiner – 2017]

Je ne sais pas si c’est de saison, mais j’ai subitement eu besoin, il y a quelques jours, d’un roman érudit ambiance « Moyen-âge et héroïnes badass » – tout comme, à la même époque l’an dernier, je m’étais laissée séduire par Le cœur converti dont je garde un souvenir brillant et étrangement automnal… Je suis donc allée piocher dans l’insondable et délicieuse liste de mes envies et en ai tiré La nuit des béguines, très encensé à sa parution et dont j’avais mystérieusement loupé le coche (puisqu’on ne peut pas tout lire, frustration permanente du métier, que je compense allègrement en ce moment béni de congé mat’ où j’écume une PAL de cinq mètres…). J’y ai ainsi trouvé mon content de Moyen-âge et ma dose d’héroïnes badass, et me suis glissée, un temps, dans l’habit de ces femmes extraordinairement libres et savantes, à l’aube du XIVe siècle…

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Il faut observer les vieilles pierres. A Paris, au croisement entre la rue Charlemagne et la rue des Jardins-Saint-Paul, surplombant désormais un terrain bitumé où l’on joue au foot et au basket, se dresse une tour irrégulière et fendue par le temps. Il s’agit, nous apprend l’auteure, de l’un des vestiges du mur d’enceinte de la ville, érigé à la fin du XIIe siècle par le roi Philippe-Auguste. Mais la sentinelle, à moitié debout et presque invisible dans sa déchéance, abrita aussi en son ombre, quelques années plus tard, les activités d’une communauté bien particulière, havre de liberté et de foi : le béguinage royal, instauré en 1264 par Saint Louis.

Un demi-siècle plus tard, les vents ont tourné. La sympathie pour les béguines semble tristement menacée : l’heure est aux bûchers et aux dénonciations, et l’Inquisition persécute quiconque dévierait quelque peu de la doctrine papale. On brûle les Templiers sous l’ordre du roi Philippe le Bel. Les caisses de l’état sont vides. Place de Grève, les corps et les volontés crépitent sous les flammes. Le 1er juin 1310, une silhouette grande et maigre, tête haute, silencieuse, inaugure le bal des exécutions. Marguerite Porette, béguine de Valenciennes, est condamnée pour ne pas avoir renié son ouvrage Miroir des âmes simples et anéanties, célébration mystique – donc hérétique – de l’amour de Dieu.

L’enclos du béguinage n’offre qu’une maigre protection contre ces bien mauvaises nouvelles. Tandis que l’époque ploie sous la chape des conventions, les béguines défendent leur sororité, leur instruction libre et leur place dans la société du commerce. Que de caractères farouches et admirables ! Ysabel, la vieille herboriste, Ade, éperdue de désir et blessée de ne pas avoir porté d’enfant, Maheut la Rousse, étrange enfant mutique au cheveu fier comme un symbole : le lecteur d’aujourd’hui vibre et s’indigne auprès de ces femmes subversives, reflets d’un Moyen-âge méconnu, florissant et moderne, à mille lieues des images viriles et barbares qui spolient notre imagination.

Un vrai bonheur que ce texte très riche – mais jamais pesant – où l’on apprend à chaque page, porté par les odeurs, les couleurs, les cris de la rue (on s’y croirait !) et la douceur bienveillante et pieuse du couvent des béguines – qui fermera ses portes bien trop vite, en 1317, suite à la publication des décrets de Vienne.

La nuit des béguines fut un formidable voyage dont je ressors instruite, admirative, heureuse. Gratitude éternelle pour Aline Kiner de nous avoir offert ce remarquable roman. Que sa plume repose en paix, aux côtés de ses inspiratrices, compagnes d’un autre siècle et modèles de dignité.

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