Bouquin #210 : Les enfants de cœur, de Heather O’Neill

[Les enfants de cœur – Heather O’Neill – 2017]
Sélectionné pour le Prix du Meilleur Roman des éditions Points

Deuxième lecture pour le Prix du Meilleur Roman des éditions Points… et c’est, hélas, un bel échec.

les enfants de coeur heather o'neill

Échec presque pressenti, puisque je me rappelle avoir un peu renâclé à ouvrir le bouquin, intimement convaincue qu’il ne parviendrai pas à accrocher mon attention – le thème, l’ambiance, la période, sans doute. Cela se passe à Montréal, dans les années trente, en pleine Grande Dépression. On y évoque la vie d’artiste, les paillettes, les grands shows. En guise de moelle, un impossible amour. Pas vraiment ma came, à vue de nez, mais c’est aussi pour cela que j’ai souhaité être jurée : m’ouvrir à de nouvelles influences, aller chercher mon plaisir au-delà de mes attirances. Ça a pu marcher lors de précédentes expériences (je me souviens encore avec émotion de ma découverte d’Eric Vuillard grâce au prix du Roman des étudiants), mais là, ma foi, c’est raté.

L’histoire, en revanche, mérite le détour et plaira aux amateurs de romances chantées, d’enfances bafouées et de destins brisés sur fond de cruauté sociale. Deux mômes se rencontrent dans un orphelinat glacial, vers 1920. Elle s’appelle, comme tant d’autres, Marie. Il s’appelle, comme tant d’autres, Joseph. Recueillie dans un linceul de neige, les joues rosies par le gel, on la surnomme Rose ; lui devient Pierrot, « parce qu’il avait toujours aux lèvres un sourire un peu niais ».

Rose et Pierrot s’apprivoisent, liés par une étrange gaieté : d’un vieux piano, il tirera des airs enchanteurs ; d’un carrelage givré, elle fera une piste de danse étoilée. Lui joue à merveille, elle cabriole dans toute sa fantaisie : les trublions, devenus inséparables, sont bientôt embauchés par toutes les bonnes âmes de la ville pour donner spectacle dans les salons dorés.

Leurs corps changent. Un désir nouveau louvoie entre les envolées de croches et les habiles entrechats. Alors que Rose et Pierrot semblent sur le point de se vouer un amour éternel, les voilà séparés par un sort cruel : embauchée en tant que nurse, Rose s’en va rejoindre la demeure du terrible – et terriblement attirant – McMahon, baron de la drogue et des bordels montréalais et respectable père de famille ; Pierrot devient le pupille du vénérable et richissime Mr Irving.

Deux situations plus que convenables, sous un ciel de brocart douillet, alors qu’au dehors le peuple crève de froid, de faim, frappé de plein fouet par la Grande dépression… Mais la roue tourne, tu penses bien, et Rose et Pierrot se retrouvent eux aussi, très vite, à la dérive parmi les mécréants…

La roue tourne, donc : elle s’emballe même parfois un peu trop. Accroche-toi, l’ami : si tu aimes le rebondissement à gogo, tu seras servi. Au risque d’y perdre la tête et d’y laisser tes nerfs. Encore que : le tout n’est pas trop mal ficelé, comme un bon feuilleton que l’on regarde d’un seul œil – ça se tient, ça se mange bien. Mais certains motifs, maintes et maintes fois appelés à la rescousse, gâchent un peu la toile. En premier lieu :

le cul.

Rose et Pierrot baisent (et, spoiler alert, finiront même par baiser ensemble, au terme d’une épopée des retrouvailles souvent grotesque). C’est cool, ça permet de faire passer le temps, d’avoir un peu chaud et peut-être moins faim, mais quel effet sur le lecteur ? Pas grand chose : rien de bandant ni même de coquin dans la description (ou la mauvaise traduction ?) des nombreuses (et souvent malheureuses) batifolades qui jalonnent le roman. Au début, on croit à un conte grivois, une audace joyeuse et décalée, remède à l’enfance et aux misères du siècle. Et puis on se lasse franchement du procédé, usé jusqu’à la corde et vaguement racoleur…

Ou peut-être s’y habitue-t-on, fort heureusement. Sous le voile de stupre et de crasse, une belle histoire émerge, portée par une figure rayonnante : exit Pierrot, ses addictions et ses caprices ; c’est Rose toute entière qui mène le récit. Ouf. Il a fallu attendre trois-cents-cinquante pages pour toucher le cœur – les cent dernières se dévorent, portée par une Rose puissante et une intrigue débarrassée du superflu qui, enfin, tient la route. Cela vaut sans doute le prix de quelques heures de lutte avec l’ennui et le sommeil. Mais je retiens avant tout de ce bouquin un potentiel gâché et un profond agacement…

3 réflexions sur “Bouquin #210 : Les enfants de cœur, de Heather O’Neill

  1. J’ai cru comprendre qu’en effet, la traduction n’était pas au top dans ce bouquin.
    Mais ça me rassure – et mille mercis pour ta critique qui met les mots sur mon ressenti – moi aussi ça m’a beaucoup agacé, toutes ces scènes de cul. Ca aurait pu être plus implicite et plus symbolique pour marcher dans le côté conte de fées, ça aurait pu être plus grivois et malin aussi, mais non, que c’est mal amené à chaque fois. Sans ce point d’écriture, j’aurais peut-être vraiment réussi à apprécier ce roman. C’est quand même un beau pavé avec des personnages intéressants et qui évoluent, dans un contexte peu habituel (pas lu beaucoup de romans se passant au Québec), et j’ai adoré les passages qui faisaient vraiment onirique, conte de fées, tout le milieu du théâtre, de l’art. Mais comme toi, j’ai vraiment échoué à me plonger dedans, et pourtant j’en avais envie. Je n’en garde plus beaucoup de souvenirs de lecture, même si Rose change en personnage décidé et impressionnant. Mais tu as raison, le bouquin avait un potentiel qui méritait d’être beaucoup mieux exploité.

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    1. Tu as tout à fait résumé mon malaise face à ce bouquin ! En effet, les scènes « grivoises » sont très mal amenées, tout semble d’ailleurs construit comme une tour de Lego, sans harmonie, et le potentiel du résumé s’en trouve bien gâché, malgré l’évolution des personnages et leurs caractères bien trempés…

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