Je ferme la porte.

C’est étrange. A la première tentative pour écrire cet article, le clavier de ma capricieuse bécane ne s’est pas allumé. A la deuxième, les mots ont fusé trop vite, les lettres se mélangeant, idiotes et inutiles. La bête renâcle et je suis fébrile. Sur le seuil, entre deux eaux, depuis des mois – trop longtemps.

Aujourd’hui pourtant, je ferme la porte.

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Bouquin #214 : Désintégration, d’Emmanuelle Richard

[Désintégration – Emmanuelle Richard – 2018]
Sélectionné pour le Prix du Meilleur Roman des éditions Points

A bien des égards, je suis une privilégiée. Certes, je vis sur un Smic (banal), j’ai un prêt à rembourser (sans surprise) et la gueule de mes factures de chauffe me fait souvent grincer les dents l’hiver (évidemment), mais je n’ai pas à me plaindre – je ne compte rien, je mange bien et mes fins de mois sont comme les débuts, ni étriquées, ni dispendieuses. Que retenir, donc, de cette Désintégration, cri du pauvre attrapé au vol par ma conscience de bien-lotie, torpille de haine à l’égard des jolies gens, de la rive gauche BCBG, des incapables de la trime ? Une lucidité brillante, des crocs acérés jusqu’au jubilatoire… et un certain agacement.

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Bouquin #213 : Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, de Mick Kitson

[Manuel de survie à l’usage des jeunes filles – Mick Kitson – 2018]
Sélectionné pour le Prix du Meilleur Roman des éditions Points

Alors ça, quelle aventure !

Après avoir observé le quotidien singulier d’un grand aéroport et m’être bien piteusement égarée dans le Montréal glacial des années 1930, me voici embarquée dans une curieuse robinsonnade de mômes, en plein cœur des Highlands, et toujours pour le Prix du Meilleur Roman Points. Hauts les cœurs, intrépides camarades : Sal et Peppa ont à elles deux à peine vingt ans mais bien des merveilles à nous apprendre…

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Bouquin #212 : Le rêve du village des Ding, de Lianke Yan

[Le rêve du village des Ding – Lianke Yan – 2005]

Il y a trois étés de cela, je découvrais la plume exquise de Lianke Yan grâce au magnifique conte Les jours, les mois, les années. Je m’étais évidemment promis de prolonger très vite l’expérience, notamment avec ses écrits plus politiques – l’auteur fait hélas partie de la longue liste noire des dissidents privés de parole en Chine – et m’étais donc ruée sur Le rêve du village des Ding… Mais je papillonne beaucoup (beaucoup trop !), et ledit bouquin a finalement sommeillé dans mes étagères jusqu’à tout récemment. L’effroi, cela dit, fut intact. Car sous un ton confinant presque au burlesque, une Chine macabre se dévoile : celle des mensonges d’état et des illusions perdues ; une Chine rurale, rouge canicule et brisée par l’ignorance…

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Bouquin #211 : La nuit des béguines, d’Aline Kiner

[La nuit des béguines – Aline Kiner – 2017]

Je ne sais pas si c’est de saison, mais j’ai subitement eu besoin, il y a quelques jours, d’un roman érudit ambiance « Moyen-âge et héroïnes badass » – tout comme, à la même époque l’an dernier, je m’étais laissée séduire par Le cœur converti dont je garde un souvenir brillant et étrangement automnal… Je suis donc allée piocher dans l’insondable et délicieuse liste de mes envies et en ai tiré La nuit des béguines, très encensé à sa parution et dont j’avais mystérieusement loupé le coche (puisqu’on ne peut pas tout lire, frustration permanente du métier, que je compense allègrement en ce moment béni de congé mat’ où j’écume une PAL de cinq mètres…). J’y ai ainsi trouvé mon content de Moyen-âge et ma dose d’héroïnes badass, et me suis glissée, un temps, dans l’habit de ces femmes extraordinairement libres et savantes, à l’aube du XIVe siècle…

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Bouquin #209 : L’œuvre de Dieu, la part du diable, de John Irving

[L’œuvre de Dieu, la part du diable – John Irving – 1985]

John Irving et moi, ça partait sur de bien mauvaises ondes. Il y a quelques années, je l’avais découvert au pifomètre avec un de ses derniers romans, sans doute des plus anecdotiques : A moi seul bien des personnages, qui m’avait passionnée un temps puis lassée profondément – peut-être aussi parce que sa lecture coïncidait pile-poil avec une semaine de fièvre, clouée au lit à ne rien faire d’autre que bouquiner faiblement et bouffer de la soupe, joyeux souvenir… Bref : j’ai tout de même eu envie de remettre le couvert, d’essayer de nouveau avec un opus maintes et maintes fois conseillé à mes oreilles, d’ailleurs considéré par l’auteur comme son grand chef-d’œuvre ; un livre mordant, fleuve, repère prometteur d’âmes attachantes et de bons copains. Bingo : L’œuvre de Dieu, la part du diable m’a complètement emballée. C’était intense, c’était chouette, ça m’a donné envie de dévorer toute la biblio irvingienne : on ne pouvait imaginer plus heureuse réconciliation !

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Bouquin #208 : La vallée des rubis, de Joseph Kessel

[La vallée des rubis – Joseph Kessel – 1955]

Je reviens à mes premières amours. Kessel, longtemps chéri comme un grand-père (troisième homme de ma vie, disais-je alors), lu abondamment il y a quelques années et tristement délaissé depuis, par manque de temps pour mon panthéon personnel… L’immense Kessel, sa plume de sel et de fer, ses voyages innombrables et périlleux livrés en feuilletons dans les journaux d’époque, ce regard si clairvoyant, si prompt à dresser de justes portraits, à nous faire aimer les hommes, leur bravoure, leur folie ! Dans cette folle passion, j’ai tout de même de la chance : le bonhomme fut prolifique, assez pour me faire rêver encore quelques dizaines d’années, à raison d’une évasion par ci, par là, à la lueur de mon admiration béate. Pour ce retour aux délices kesseliens, j’ai choisi la Birmanie et son ventre couleur de sang…

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Bouquin #207 : Esprit d’hiver, de Laura Kasischke

[Esprit d’hiver – Laura Kasischke – 2013]

On m’a souvent encouragée à découvrir Laura Kasischke – surtout ces derniers temps, où pas une semaine ne s’est écoulée sans que je ne tombe sur une occurrence à sa plume, tout à la fois « spectrale », « cruelle », « envoûtante », à en croire les louanges qui m’en furent donnés. Comme j’ai un peu de temps devant moi – du moins jusqu’à ce que le Pitchou se décide à quitter mes rondeurs pour débouler dans ce monde – j’en profite pour rattraper mes immenses (et d’autant plus délicieuses) lacunes littéraires, pour une fois bien à l’écart de la nouveauté-nouvelle : lire mes classiques et mes envies, pour le fantasme que je me fais de ces découvertes idéales – et pour mon plus grand plaisir ! Lire pour moi et uniquement pour moi, loin de mon job, loin des pressions instagramiques qui ne semblent logiquement fleurir qu’autour de cette sacro-sainte rentrée, lire à l’aveuglette et sur du papier jauni, comme au temps de l’ouverture de ce blog. Bref, j’ai eu envie de croquer dans du Kasischke. Je suis allée la dénicher à la médiathèque. J’ai commencé au pifomètre par Esprit d’hiver, sans doute parce qu’il y avait ce cœur tout rouge comme un grand amour sous le filmage de la couverture. Ça m’a bien déroutée. J’en ai fait quelques étranges cauchemars. Et je crois bien que j’ai adoré l’expérience…

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Bouquin #206 : Le terroriste joyeux, de Rui Zink

[Le terroriste joyeux – Rui Zink – 2015 ; VF 2019 – traduit par Maïra Muchnik]

Tu sais comme je les aime, ces textes courts, vifs comme un trait de flèche, qui nous émerveillent et se savourent comme des bonbons. Ces petits trucs un peu ovnis que l’on se plaît à relire, comme ça, entre deux, coup de boost. J’ai trouvé ma came, cette rentrée, chez Agullo, avec un bouquin tout à fait surprenant et étrangement lucide sur lequel je me suis bien marrée : le face à face absurde entre un terroriste-malgré-lui et son interrogateur falot…

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