Bouquin #103 : Le tour du monde en 72 jours, de Nellie Bly

[Le tour du monde en 72 jours – Nellie Bly – 1890]

Il y a un an, je découvrais une héroïne : Nellie Bly, bout de femme intrépide, joueuse et bardée de bagou, en immersion pendant dix jours dans un asile de la honte pour le compte du New York World. Exhumé par les superbes éditions du Sous-sol, le reportage m’avait absolument conquise, tant il trempait avec vigueur la plume dans une plaie d’époque, avec toujours ce ton malicieux, ce regard affûté et un culot à tout épreuve. J’attendais donc beaucoup du Tour du monde en 72 jours, deuxième opus des aventures de la jeune femme… Et si l’ensemble ne manque pas de piquant, je ressens tout de même une certaine frustration à la lecture de ce voyage dont, en définitive, l’on apprend pas grand chose, si ce n’est qu’il représenta un incroyable coup marketing pour l’ami Pulitzer… 103-le-tour-du-monde-nellie-bly

Dimanche d’automne, année 1888. Nellie Bly se creuse les méninges : elle doit trouver, pour le lendemain, un sujet à présenter auprès de sa rédaction, mais aucune idée ne lui vient, sinon l’envie de vacances bien méritées à l’autre bout du monde… Et pourquoi pas, après tout, entreprendre une circumnavigation sur les traces du fictif Phileas Fogg, dont les aventures ont été publiées une quinzaine d’années auparavant ? Qu’à cela ne tienne, autant concurrencer le héros de Jules Verne : faite le tour du monde certes, mais en moins de 80 jours ! Nellie a ferré son idée, qu’elle présente à ses supérieurs : un an plus tard, les préparatifs du voyage sont achevés et la journaliste se lance, seule et chargée d’un tout petit sac, dans une course contre la montre et autour du globe.

Partie de New-York le 14 novembre 1899, Nellie Bly accoste à Londres quelques jours plus tard, d’où elle rejoindra Paris, puis Amiens où Jules Verne en personne lui souhaite bonne fortune, avant de prendre le rail pour Venise : commence alors un long périple sur les mers, de Brindisi à Aden, de Colombo à Yokohama, en passant par Suez, Singapour, Hong-Kong… Puis, après une traversée du Pacifique à bord de l’Oceanic, retour en terres natales, qu’il faudra traverser d’ouest en est pour enfin rejoindre New-York, où Nellie Bly est accueillie en fanfare le 25 janvier 1890, après avoir parcouru plus de quarante-mille kilomètres en 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes, renvoyant Phileas Fogg à un statut d’amateur.

Absolument seule, nous promet le New-York World, qui déploie en parallèle tout un attirail commercial autour du périple de son aventurière. A y regarder de plus près, la réalité est tout autre : certes, Nellie Bly voyage sans compagnon, mais elle est attendue à chaque escale, et les petites mains du NYW s’activent en fond pour faciliter son voyage – les horaires de tout transport s’adaptent ainsi aux exigences de la reporter, et Nellie trouve en tout port et toute gare un accueil digne des plus grandes célébrités.

Rien à voir, donc, avec le téméraire reportage dans un asile, dont l’attrait résidait dans le danger et le professionnalisme déployé par la journaliste pour exposer la vérité aux yeux du monde. Ici, bien au contraire, l’on assiste à un voyage planifié, arrangé : rien de bien spectaculaire en somme, bien que, pour l’époque, partir loin et seule en tant que femme relevait de l’aventure.

Le tout m’a ainsi laissé la sensation de siroter un breuvage tiède et sans trop de goût – à peine relevé par le regard franc et dégourdi que pose Nellie Bly sur son entourage, à coup de remarques judicieuses et parfois amusantes, dont je vous livre un exemple en fin de billet. Mis à part quelques contacts avec les autochtones, la majorité du trajet, des transports aux comptoirs coloniaux, se passe dans un entresoi blanc et prévenant : rien ne laisse supposer, donc, que Nellie ait frôlé le péril et engagé tout son être dans cette très sage aventure – et cela se ressent malheureusement dans le récit, fluide mais peu accrochant.

« A chaque port où je débarquai, je trouvai tant de séduisants célibataires ! Je me suis demandé pourquoi les femmes ne partaient pas chercher le grand amour vers l’Orient. On a bien dit à une époque aux jeunes hommes en quête de fortune : « Partez à l’Ouest, mon ami ! », et bien moi je dirais : « Les filles, partez à l’Est ! » Il se trouve là-bas plus de cœurs à prendre qu’il n’en faut ! Et on ne peut rêver meilleurs partis. Ils possèdent des maisons magnifiques et n’ont pas une mais plusieurs personnes à leur service. Pensez-y, mesdemoiselles : « Partez à l’Est ! » »

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