Bouquin #96 : 14 Juillet, d’Eric Vuillard

[14 juillet – Eric Vuillard – 2016]

La Révolution, à première vue, ça me botte pas vraiment. Trop lointain. Trop éculé par des années d’enseignement à toujours scander la même ritournelle, sur le même air, avec les mêmes documents et les mêmes bouquins usés. Jusqu’à cette année, où, à l’université, je redécouvre cette période à la faveur d’un cours mêlant littérature et cinéma : certes, on se tape Pierre Michon et Rohmer et c’est d’un chiant incroyable, mais tout de même, il y a du bon dans ces vecteurs inattendus et inventifs, à mille lieues des sempiternels alignements de dates et de faits qui ont jalonné ma scolarité sans qu’on me les explique, ou si peu – il fallait faire vite avec les moyens du bord, et surtout, grands dieux, finir ce satané programme dans les temps. La Révolution, à présent, me plaît un peu plus, et surtout m’apparaît plus vivante, passionnelle : je comprends enfin toute son importance… voire même son actualité. Je baigne dedans, je la dissèque, j’explore ses résonances. Et par une heureuse coïncidence, 14 Juillet figurait sur la liste des ouvrages sélectionnés pour le prix #RDE… 96-14-juillet
Il y a Falaise, Boucheron, Humbert, Delorme. Turpin, Fournier. Sagault, qui mourra comme tant d’autres, la gueule ouverte sur ses grands espoirs. Il y a beaucoup de monde, une foule compacte, huant, suant, une liesse de cris et de poudre, ça se bouscule, c’est l’euphorie maculée de colère : nous sommes aux portes de la Bastille, un 14 juillet.

« Il faut écrire ce qu’on ignore. Au fond, le 14 Juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés ou lacunaires. C’est depuis la foule sans nom qu’il faut envisager les choses. Et l’on doit raconter ce qui n’est pas écrit. Il faut le supputer du nombre, de ce qu’on sait de la taverne et du trimard, des fonds de poches et du patois des choses, liards froissés, croûtons de pain. »

Le défi est audacieux, non sans danger : il interroge les frontières entre réalité et fiction, entre figures historiques et destins imaginaires. Eric Vuillard brouille ces codes-là, étouffe les limites, reconstruit les dialogues, recoiffe les anonymes : romancier ou historien, peut-être un peu des deux, l’homme d’aujourd’hui s’approprie la sanglante journée d’hier et sublime cette date, trop lissée par les manuels, en aventure grandiose et palpitante.

On s’y croirait. D’ailleurs « on » est dans cette masse là, beuglante, hérissée de piques et d’armes de pacotille, « on », ce pronom qui nous soulève, sillonne la fureur collective et porte son regard sur ce qui bouge et qui brûle, à mesure des étapes qui amènent la Bastille à sa capitulation. On ne s’essouffle jamais, on rebondit toujours : d’un personnage à terre à cet autre, là, qui porte des planches, de sa femme inquiète au coup de feu qui vient abattre untel… Profusion d’actions, de noms, de situations inachevées : à sauter de l’une à l’autre, on pourrait perdre le fil, se désintéresser ; que nenni ! Il y a au contraire cette dynamique formidable, jamais essoufflée, en marche comme un seul homme, qui nous porte et nous valdingue dès la première page, à la rencontre de ceux – les réels, les fictifs, les nommés, les sans-visage – qui firent l’Histoire et un pas vers l’égalité.

Et puis la langue. Quelle langue ! Travaillée, renseignée, et pourtant libre, jamais affectée, terriblement contemporaine et magnifique dans son expression. Quel style, quel rythme inspiré ! On ne s’ennuie pas une seconde, on se délecte de ces mots-là, qui nous prennent par la main et nous entraînent au cœur de cette journée fantasmée, regarde par ici, untel fait un grand discours, vois cette blessure hideuse, et allons retrouver un autre plus loin au pied d’une tour, jouons des coudes à travers le peuple braillard et inspirons à fond cette ambiance-là, sentons ce grand cœur qui bat.

Que l’on aime ou non l’Histoire, que l’on se fiche de la Révolution ou que l’on adule cette époque frémissante, peu importe : 14 Juillet séduit avant tout pour cette faculté incroyable de nous embarquer dans l’œil du cyclone, là où l’action éclot, où les idées phosphorent : c’est un régal, et je crois bien que je tiens mon grand favori pour le Roman des étudiants !

Toutes mes lectures pour le Prix #RDE sont recensées ici !

18 réflexions sur “Bouquin #96 : 14 Juillet, d’Eric Vuillard

  1. Je n’ai pas du tout accroché… je reconnais les qualités historiques du livre, le travail fourni par vuillard, mais le roman m’a profondément ennuyée.
    As tu déjà des pronostics pour le gagnant ? il me reste deux livres à lire mais pour l’instant je parie sur « Petit pays  » (alors que je ne l’ai même pas commencé !)

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      1. Je crois que tu n’as pas encore lu « continuer » et « L’autre qu’on adorait », j’ai adoré ces deux livres ! Je n’ai pas encore regardé ton article sur « La succession  » car je ne veux pas être influencée avant de l’avoir lu.
        Tu me diras pour qui tu votes au final ! Bonnes lectures 🙂

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