[La fin de Mame Baby – Gaël Octavia – 2017]
C’est un roman de femmes comme on en fait peu. Sans volonté de les montrer fortes ou en combat, sans parcours du néant à la consécration, sans obstacle franchi ni nécessité du dépassement de soi. C’est un roman de femmes banales et livrées brutes, qui tournent en rond avec leurs petites et grandes misères, leurs jalousies, leurs attaches. C’est un premier roman magnifique, de celui que j’aimerais offrir à toutes les étincelles de mon entourage, à commencer par ma mère, car il parle de ce que l’on a de plus intime et impalpable : notre relation au lien, à la communauté, nos rapports entre filles et celui, complexe et toujours en question, à notre corps comme terrain jamais neutre.
Étrange hasard que ce bouquin qui, d’ailleurs, fait écho à mon programme d’études du printemps dernier, consacré à la « Femme-soin », et pour lequel j’avais lu – entre autres textes – Ladivine et Sula. Difficile d’aborder La fin de Mame Baby sans trouver, donc, de résonance à mes lectures passées, tant j’y retrouve les mêmes femmes touchantes et seules, comme une universalité qui rend justice, enfin, à la figure féminine souvent bâclée en littérature (je te parlais à la fin de cet article du sempiternel cliché de la « femme forte » que je déteste absolument, par exemple).
Cela se passe au Quartier. Celles qui s’expriment sont des subalternes : femmes, et noires. Mariette, que la vie a bue et qui tire elle aussi sur la bouteille dans un fauteuil à l’éternelle bascule. Aline, qui chaque jour met de l’ordre dans ce petit salon de HLM et écoute la vieille dame égrener ses souvenirs. Suzanne, blanche mais « pute » et un peu fille à tout le monde. Et Mame Baby, « légende utile aux femmes » dont l’ombre prodigue peine à tenir le lien. Mame Baby qui n’est plus.
On pénètre dans le Quartier comme un étranger. Aline raconte : voici donc ce que vous allez voir, voilà comment les choses se passent, ici – banalité de la vie pour celles qui face aux mâles n’ont pas de grand rôle, sinon adouber et subir. Aucune voix masculine ne se fera entendre : l’Homme, pourtant, n’est jamais loin, et on ne sait si on doit le craindre ou l’aimer, cet amant, père et fils terrible. Seule certitude : la nécessité absolue de cet autre, sans laquelle la femme ne pourrait se définir, ni comme mère, ni comme épouse. Les femmes du Quartier ont besoin de « leurs hommes », fussent-ils ingrats et violents.
Qu’en est-il alors de leurs volontés ? De leurs corps ? Possédés, jugés, souillés, aimés quelquefois mais toujours utilisés, jamais tranquilles. On sent, sous la plume de Gaël Octavia, cette omniprésence du regard sur le corps des femmes et ses mouvements entravés par le poids d’une communauté qui scrute l’intime sans concession. Fouillées, blessées, il appartient aux femmes de se soigner, entre elles, de réparer ce qui a été trop secoué à la faveur du toucher et de paroles en cataplasmes.
Cela donne un roman magnifique. Un chant, non une complainte. Un hommage aux muettes, aux nombreuses, à toutes celles qui, trop embarquées dans leur situation, ne reconnaissent qu’à demi-mot leur soumission et la négation de leur intégrité. C’est un roman féministe sans hauts cris ni gesticulade, sans manichéisme non plus, où chacun agit selon sa condition, advienne que pourra. C’est beau et c’est cruel. Et celui-là, crois moi, je tiens à le défendre, à le vendre au plus grand nombre, aux jeunes, aux vieux, aux femmes, aux hommes, à ceux qui hésitent. Parce qu’il a du poids, une vraie teneur et, à mes yeux, une très grande importance.
Cela doit être très intéressant à lire, mais peut-être un peu dur quand même… je n’en avais absolument entendu parler jusqu’à maintenant, merci pour la découverte !
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Non, pas dur du tout ! Rien de violent, juste un climat réel de femmes qui, sans être forcément reniées, subissent et alimentent elles même le patriarcat.
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Ta chronique donne envie de le lire. Ce roman a l’air très riche, merci pour cette découverte.
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Merci à toi, avec plaisir !
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Très envie de le lire, je vais d’ailleurs sans doute craquer bientôt.
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Je t’en souhaite une belle lecture.
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Je viens d’en achever la lecture. Je rassemble mes idées pour en faire mo-même un billet.
Une chose est sure: j’ai aimé lire ce roman, paradoxalement parce que sa lecture n’a pas toujours été un plaisir simple. Il a convoqué en moi divers questionnements, des résistances…
Encore une très belle chronique de ta part en tout cas.
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