Bouquin #139 : Pedro Páramo, de Juan Rulfo

[Pedro Páramo – Juan Rulfo – 1955]

Qu’elles sont douces et hors du temps, les lectures de vacances ! J’avais choisi, pour ma bienheureuse semaine de congés, plusieurs classiques à dévorer l’esprit libre, sans imminence de la nouveauté, afin de goûter – comme cela m’avait manqué ! – au juste recul de textes mûrs et socles. De la lecture de rattrapage, du plaisir brut, de l’éducation. Je n’ai eu, au final, qu’un compagnon de repos : Pedro Páramo, longtemps convoité et gardé au chaud pour les jours de calme. Je l’ai lu avec parcimonie, quelques pages par ci, quelques lignes par là, pour le simple bonheur de faire durer l’ambiance, de ne jamais quitter les terres nues et bouillantes du Mexique comme j’aurais aimé ne jamais quitter mes montagnes et ma pouzzolane auvergnate. Une pleine semaine, donc, aux côtés de ce livre étrange et cousu de cris, que je brûle déjà de relire tellement je l’ai aimé…

pedro paramo juan rulfo folio

Il faut le prendre comme un voyage, et fermer les yeux. Oublier les contraintes et la logique, s’immerger. Ne pas chercher à décrire – quoi que, pour te donner envie, il me faudra bien esquisser un résumé, que l’on pourrait présenter ainsi : le narrateur, Juan Preciado, exécute la dernière volonté de sa mère et part retrouver son géniteur dans un village de cambrousse où il n’a jamais mis les pieds. A Comala, il se découvre fils de Pedro Páramo parmi tant d’autres et perd sa raison entre les murmures des vivants et des morts – le voici tendrement effacé, englouti, et nous avec, dans ce monde purgatoire aux repères annulés, dont le chœur ne semble battre que pour dire la mort et le péché.

Tu l’auras compris : c’est moite et bizarre. C’est une ambiance avant tout, dans laquelle on entre sans lumière, seulement portés par la faible voix d’une narration qui devient disparate, fragmentaire – on ne sait qui est qui, quel est le mal qui semble mourir sur ces terres de braise. La parole se dissout de bouche en mémoire, et ceux qui la portent n’ont parfois plus corps – seuls les fantômes semblent encore habiter Comala. Ou peut-être s’agit-il d’hallucinations, de celles qui nous envoûtent comme une fièvre à la faveur d’un soleil de plomb…

A mi-chemin de cet étonnant bouquin, on s’habitue et la trame fait jour : se dessinent alors les contours du malheur qui semble avoir frappé Comala. Il a un nom : Pedro Páramo (dans le mille !). Une fonction : propriétaire, baron local, amant multiple. Une obsession folle : Susana San Juan. C’est un homme amoureux et frustré : il deviendra méchant, cynique. C’est une sorte de diable pour ce village où n’errent que des damnés.

Ce qu’il y a de terrible, et d’infiniment puissant avec cette histoire, c’est qu’elle m’a donné l’impression de pouvoir être lue à l’envers, dans le désordre, tant sa construction se rapproche d’un enfermement qui nous condamne à ce livre sans clé ni issue. On pénètre dans un monde aux confins poreux, à la fois intérieur, singulièrement personnel mais également lointain, presque exotique. C’est une expérience hors du commun, dont je crains de ne pas pouvoir te décrire l’essence avec précision tant il me semble falloir la vivre pour en ressentir l’unicité. Il y a là matière à étude, richesse incroyable : pas même deux-cents pages mais un foisonnement de thèmes (la filiation, la religion, ce voyage aux frontières du réalisme…) qui m’ont rappelé, à l’évidence, ma lecture de García Márquez – ce qui, par la même occasion, m’a donné fortement envie de me plonger entièrement dans la littérature sud-américaine, terrain toujours inexploré pour ma part : il faut absolument que je m’y mette !!

Un trésor du web pour te convaincre : l’incipit (et le reste!) superbement lu par Jacques Bonaffé (France culture, juin 2012) >>>  https://www.youtube.com/watch?v=P_D05lvzf08

(Et hop ! Directement rangé dans ma bibliothèque idéale !)

3 réflexions sur “Bouquin #139 : Pedro Páramo, de Juan Rulfo

  1. Bonjour ! Toujours un bonheur de lire tes chroniques ! J’ai aussi pris cette résolution : découvrir en 2018 la littérature sud américaine et ne pas citer à chaque fois Paulo Coleho quand on me parle de cette partie du monde. Merci pour ce livre que je note dans ma wishlist.

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