Bouquin #118 : Des erreurs ont été commises, de David Carkeet

[Des erreurs ont été commises – David Carkeet – 1997 ; avril 2017 pour la traduction française]

J’ai ri ! Mais que j’ai ri ! Il n’y a rien de plus savoureux que d’observer son prochain – fictif – s’embourber dans la dèche, enchaîner les catastrophes et vivre une existence en peau de banane : c’est un péché-mignon que David Carkeet conjure à merveille, dans un roman à la fois sensible et désopilant, dévoré en deux soirs – un bonbon.

118 Des erreurs ont été commises Carkeet Monsieur Toussaint Louverture

Prenez deux loosers, une déferlante de poisse, des dialogues au sommet du malaise. Assaisonnez le tout de jeux de mots ringards parce que banals, faites mariner dans un bouillon d’adolescence beuglarde, d’universitaires mesquins et de coucheries pauvrettes : vous obtiendrez un concentré bien piquant d’erreurs en tout genre – et un excellent roman.

Pour le troisième opus* de ses aventures de gros-perdant-à-la-marge-mais-toujours-avec-le-sourire, le linguiste au chômage (pléonasme ?) Jeremy Cook croise la route du « Roi des noix » Ben Hudnut, entrepreneur aux affaires florissantes et parfait père de famille – a priori. En jeu, le langage de Molly Hudnut, gamine haute comme trois « pomates » qui truffe ses babillages de bilabiales et donne du « putain con » à qui veut l’entendre. On comprend vite, à observer la gosse, que Ben a baissé les bras et se laisse gouverner – plus loin, on réalisera que c’est la vie entière qui le tient sous sa coupe, et qu’à trop vouloir colmater les fissures, l’homme saccage joyeusement le restant de son existence.

Les désastres s’accumulent**. C’est drôle, jouissif. C’est le quotidien du manque de bol, des blagues qui ne font rire personne et des crottes de chien sous la semelle gauche. Jours terribles et corrosifs où l’on tente, malgré tout, de sauver les apparences – à grand renfort de cachotteries ruineuses et d’inévitable mauvaise foi.

De cette exploration de la décrépitude dans ce qu’elle a de plus honteux et inavouable surgissent alors des moments brillants, plus vrais que nature, où naissent des échanges infiniment vains et dont on ressort à la fois hilares… et terriblement gênés (définition du facepalm, en vrai). David Carkeet s’amuse, et l’on jubile à ses côtés comme au devant d’un incendie : détruit, le valeureux cliché du self-made man total control ; anéanties, les conversations mondaines et les dialogues de sourds ; ravagées, les « nobles » ambitions du monde du savoir ! La plume attaque et vient fouiner aux endroits les plus chatouilleux : on rit, d’abord, puis on aperçoit son propre reflet dans ce roman cousu de trucs ratés, qui tire à son lecteur une langue caustique et vise les petits embarras, les grands moments de solitude.

Cela reste bon enfant, presque tendre : derrière les piques et les situations cocasses s’exprime un regard franc et affûté sur notre quotidien somme toute trivial, toujours un peu foireux – « c’est la vie ». Limpide et rythmé, Des erreurs ont été commises ne se lâche pas et nous prend à notre propre piège : on veut en savoir plus, repousser les frontières du malaise et observer jusqu’au bout la galère d’autrui. C’est un peu le pendant littéraire du voyeurisme télé : en mille fois plus malicieux et intelligent, puisque l’on discerne, après lecture, l’architecture du récit en « petit monde », son autotextualité savamment disposée, et ce jeu toujours présent sur la vacuité du langage, surabondant et souvent inefficace… Mine de rien, nous voilà à poser un regard neuf (et un peu honteux) sur notre propre usage de la langue, parfois bien faible – que celui qui n’a jamais employé « oh tu sais, les goûts et les couleurs » ou « qui vivra verra » et autres niaiseries de ce genre pour meubler une conversation me jette le premier pixel !

Pour résumer : on rit beaucoup, on en apprend tout autant, et on cogite. Allez, zou, file chez ton libraire !

(Mention spéciale à la judicieuse traduction de Marie Chabin, qui francise à merveille les pirouettes langagières bien nulles et bien gênantes crachées ça et là – et fièrement, c’est ça le pire – par les personnages.)

* Peut être lu indépendamment des deux premiers titres, Le linguiste était presque parfait et Une putain de catastrophe, également chez Monsieur Toussaint Louverture.
** Et je ne te dirai pas lesquels, pour ne pas spoiler : y’a du lourd !

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