Bouquin #108 : Du domaine des Murmures, de Carole Martinez

[Du domaine des Murmures – Carole Martinez – 2011]

Serait-ce mon athéisme immuable ? Serait-ce mon manque d’empathie ? Ou bien l’ambiance de cette semaine passée la tête ailleurs que dans les livres, entre petits conflits et grandes promesses ? Il est vrai : j’ai été distraite ces derniers jours, et je n’ai peut-être par accordé au Domaine des Murmures ma pleine concentration – cela arrive. J’aurais aimé, pourtant, recevoir en réponse une main tendue, un fil irrésistible capable d’entraîner tout mon être dans cette histoire si alléchante vendue par le résumé… et en laquelle rien – presque rien – n’a éveillé mon attention.

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A l’origine, quelques lignes séduisantes et ouvertes sur de beaux espoirs : la promesse d’un voyage mystique aux côtés d’Esclarmonde, qui refuse le mariage pour s’emmurer vivante auprès du Christ sauveur, du Christ émancipateur – croit-elle. Nous sommes en 1187, au château des Murmures : la jeune et sainte pucelle souffle son histoire aux pierres de sa tombe et accueille à sa fenestrelle les miséreux de son monde. Depuis son enfermement, depuis sa descente dans l’antichambre des Cieux, Esclarmonde répand le bien en paroles et en touchers, et son aura rayonne sur un domaine de nouveau fleurissant et – saint miracle ! – oublié de la Mort. Mais au creux de ce corps pur et tendre, une autre vie se forme : fruit maudit d’un acte incestueux qu’il faut taire pour protéger la foi du peuple…

Beaucoup de potentiel, donc, dans ce récit que je quitte toutefois dubitative : à ce bouquet ambitieux de pistes à explorer (solitude, crise de foi, exaltations mystiques, figure publique de la femme…), Carole Martinez semble tourner le dos et ne se cantonne qu’à un travail qui m’a paru de surface – cette frustration qui en résulte s’avère pour le lecteur si agaçante, si désagréable ! Malgré le « je » omniprésent, malgré la douceur de ces murmures chantés à nos oreilles et la proximité de cette Esclarmonde prisonnière à nos côtés, le personnage est resté pour moi une étrangère, sans doute un peu folle, au babil trop lyrique et si peu profond.

Une remarque, glanée dans le premier quart du récit (alors que je luttais déjà contre son abandon), m’a fait sourire : « les mots étaient souvent impuissants à rendre la force de ce qui me traversait ». Pratique : il s’agit là de laisser l’imagination du lecteur faire le boulot, prendre le dessus et inventer les sentiments que l’on ne peut soi-même décrire – si je ne m’oppose pas à ce biais lorsqu’il est utilisé à bon escient (l’auteur ne peut, et ne doit pas TOUT dire), je trouve cependant son usage un peu facile en ce qui concerne Du domaine des Murmures, qui, en conséquence, manque cruellement d’épaisseur.

Je m’attendais à une écriture de la sensation, à de la matière, de l’audace. Je m’attendais à m’imprégner, moi aussi, de la relation ambiguë avec le Christ ; je m’attendais à de la fougue, à un engagement féminin plus poussé ; je m’attendais à du détail, à du viscéral, de la crasse, des larmes : je voulais vivre moi-même les jours et les peines d’Esclarmonde ! Je me retrouve face à une succession de faits peints comme sur un mur lisse, duquel il est si tentant de lâcher prise…

Fort heureusement, jolie plume et fin développée (bien meilleure que le début en berne) rattrapent à grand peine le lecteur en déroute. On trouve au Domaine […] de belles images, savamment convoquées, et une intertextualité bienvenue qui me pousserait presque à relire l’intégrale de ce bon vieux Chrétien. A son Esclarmonde insipide et trimballée jusqu’à outrance entre les figures de la sainte et du martyr, Carole Martinez oppose des personnages secondaires bien pensés, attachants pour certains (Ô gironde Bérangère…) et dont les actions dévient pour un temps notre regard des enjeux non comblés de ce tout petit roman.

On m’a conseillé de lire Le cœur cousu. Peut-être me remettrai-je de ma déception en me laissant tenter…

14 réflexions sur “Bouquin #108 : Du domaine des Murmures, de Carole Martinez

  1. Je n’avais pas non plus accroché à ce roman, ton article exprime parfaitement ce qui m’avait déçue : que des faits décrits sans profondeur et un gros manque d’introspection. Concernant le coeur cousu il m’avait également déçue, j’espère que ce ne sera pas ton cas ! 😃

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  2. J’ai pour ma part adoré ce roman, j’avais l’impression de réellement entendre les murmures d’Esclarmonde. J’ai aussi apprécié le traitement de l’enfermement car, bien que recluse, Esclarmonde nous fait voyager à sa manière.

    Les livres provoquent toujours des sentiments différents en fonction des lecteurs, c’est bien pour ça qu’on aime parler d’eux, même si les déceptions sont parfois frustrantes. J’espère que tu accrocheras plus à ta prochaine lecture 🙂

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