Bouquin #66 : Jane Eyre, de Charlotte Brontë

[Jane Eyre ou Mémoires d’une gouvernante – Charlotte Brontë – 1847]

Ah, Jane Eyre… Ce roman étudié mille et une fois, au collège, au lycée, et même à la fac… mais que, shame on me, je n’avais jamais lu en entier jusqu’à ce jour. La faute, comme souvent, à un préjugé stupide : j’associais indirectement Brontë à Austen, et comme Pride and Prejudice me sort par les narines, je craignais de me retrouver, une fois encore, face à un bouquin suintant la romance et les belles robes et les chichis : bref, tout ce que j’abhorre en littérature. Grand bien m’a pris toutefois de me lancer malgré mes idées préconçues : j’ai découvert en Jane une jeune femme forte, maitresse de sa raison, pas mièvre pour un sou, héroïne d’une histoire absolument passionnante !

66 Jane Eyre

Jane est une fillette de dix ans, orpheline, têtue, pas très jolie et bien malmenée par la vie. Après avoir vécu de rudes années chez une tante sans amour puis dans un pensionnat mortifère, la petite, devenue jeune femme, est engagée comme institutrice au manoir de Thornfield. Arrive sur son cheval (tagadam tagadam) le sombre et caractériel Edward Rochester, du genre beau gars à la tête un peu fracassée et sur le déclin, qui allume sa petite flamme dans le cœur intouché d’une Jane toute neuve face au grand monde…

Ce genre de résumé pourrait typiquement me faire fuir, mais, fort heureusement, l’histoire nous emmène bien au-delà du récit d’un amour entre le padre-obscur-et-autoritaire et la jeune-vierge-au-cœur-naïf. Ici, point de sentimentalisme à l’eau de rose ni d’envolées lyriques sur les vertus de l’amûr et des Beaux Bruns Mystérieux : non, lecteur, te voici face à un bout de femme réfléchie, qui narre ses aventures dans un langage intelligent et maîtrisé, à l’image de son caractère. La plume est splendide, le récit captivant ; et si l’on n’échappe pas à quelques doses d’inclinations, c’est par nécessité, et sans prose larmoyante.

J’ai aimé Jane Eyre pour son héroïne, très vite devenue pour moi un modèle de raison et de persévérance. Si ce n’est une constante révérence envers Dieu (compréhensible pour l’époque, mais les bondieuseries, c’est comme l’affectation, ça m’a toujours agacée), je me suis sentie, tout au long de ma lecture, intensément admirative face au courage et à la bonté de ce caractère combatif, modeste et instruit, que l’on pourrait presque qualifier, par anachronisme, de féministe.

J’ai aimé Jane Eyre pour son atmosphère étouffante, quasi-gothique, où les âmes et les éléments ploient sous les griffes d’une nature impitoyable. Cette lande battue par le vent, ce manoir tissé d’ombres, ces tempêtes imprévues ! L’on tremble avec délice, presque apeurés, en suivant les pas de Jane dans les couloirs lugubres, hantés par un sombre passé, bientôt entachés par la folie. Charlotte Brontë semble décrire décors et évènements à la manière d’une peinture, et joue avec dextérité sur la présence ou l’absence de couleur, de reflets – j’ai apprécié ce travail apporté sur les ambiances, que le lecteur perçoit à travers une écriture pigmentée, tantôt lumineuse, tantôt d’une noirceur absolue.

La vigueur de Jane m’a subjuguée dès les premières lignes, signant mon embarquement immédiat, auprès de l’héroïne, dans une vie laborieuse, fourbue. L’écriture sensible et clairvoyante a achevée de me séduire. A ceux qui, comme moi, ont longtemps redouté la lecture de cette épaisse merveille : n’hésitez plus, foncez. Ce roman vous surprendra par son intelligence, son analyse sagace et la beauté des sentiments qu’il concentre, en toute simplicité.

26 réflexions sur “Bouquin #66 : Jane Eyre, de Charlotte Brontë

  1. J’ai aimé ce roman. L’héroïne est forte, l’atmosphère est étouffante (comme tu le dis) et l’écriture est belle. Pourtant, … lors de ma première lecture, ce ne fut pas un coup de coeur. Il faut que je le relise !

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  2. Merci pour cette chronique une nouvelle fois très pertinente. Je me retrouve vraiment dans ce que tu dis de Jane Eyre, roman que j’ai lu en craignant également les clichés romantiques et gothiques de l’Angleterre du XIXe siècle ; tout comme toi, j’ai le souvenir d’avoir été agréablement surprise par la force du personnage de Jane, et la modernité de l’écriture de Charlotte Brontë. Merci pour cette très belle chronique et pour cette très belle image d’une « écriture pigmentée » qui colle parfaitement à celle de Charlotte Brontë !

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  3. Jane Eyre est un roman que je relis avec plaisir.
    Quant à Pride and Prejudice, permets-moi une remarque; j’ai mis du temps à comprendre l’intérêt du romantisme. Et encore maintenant, c’est un mouvement qui ne résonne que très peu en moi.
    Mais il est pour moi erroné d’y inclure Austen. En (re-) lisant Sense and Sensibility, en ce moment, je me fais d’ailleurs la réflexion qu’Austen ne fait quasi aucune description de tenues, de demeure. Cela n’est pas son propos. Elle croque des caractères et il faut y lire beaucoup d’ironie. Je pense que c’est la fanfiction qui a posé sur son oeuvre un voile de sucre, de dentelle et de mièvrerie.

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    1. Oh, ça, sûrement. Mais malgré toutes les tentatives (en VO, en VF, avec ou sans notes, dans des versions abrégées ou non), je n’ai jamais été touchée par Orgueil et Préjugés, et si ironie il y a, il n’en reste que c’est pour moi un roman absolument imbuvable.

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  4. Mon livre de chevet ! Tu le chroniques très justement. En revanche, je rejoins ce que dit Carnets de textes dans son commentaire : ce sont les fan-fictions, les téléfilms BBC et les films adaptés qui nous en donnent cette image erronés. Austen était bien plus sarcastique et ironique que ce que l’on veut bien avouer aujourd’hui !

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      1. Définitivement pas pour toi, donc! Merci d’avoir pris le temps de me répondre.
        Je dois avouer qu’il faut une bonne dose de patience pour lire Austen. D’ailleurs je suis en train de perdre la mienne dans Sense and Sensibility et je vais aller voir un peu ailleurs pour reprendre du souffle.

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  5. J’aime beaucoup ta façon d’écrire 🙂 et je suis complètement d’accord avec toi pour le coup. C’est aussi rafraîchissant de découvrir quelqu’un qui n’a pas aimé Pride and Prejudice! J’apprécie Jane Austen mais j’avoue avoir tendance à grincer des temps lorsque certains l’idolâtre.

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  6. Belle critique.
    Une petite chose, tout de même : je ne partage pas ton point de vue sur Orgueil et préjugés… Histoire gnangnan, oui je suis d’accord. Mais quelle plume ! Je le lis et le relis, chaque année (tout comme les autres Austen), pour le style de l’auteur, son cynisme fascinant, sa profonde maîtrise de la nature humaine. Et dans ce cas, l’histoire devient secondaire, ne constitue pas l’essentiel du roman.

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  7. C’est mon roman préféré de tous les temps!^^ Je le relis assez régulièrement, j’aime tout dans ce livre! Mais je me souviens que lors de ma première lecture, j’avais allègrement sauté toute une partie pour lire la fin, afin de me rassurer, puis j’étais retournée en arrière…que de bons souvenirs!

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  8. Je l’ai relu récemment, le souvenir que j’en avais était une version simplifiée et le film avec Charlotte Gainsbourg (qui est magnifique) et je voulais découvrir les vrais mots de Charlotte Brontë. J’ai aimé Jane comme toi (sa force, ses convictions, son amour ) mais le style d’écriture m’a un peu freinée. J’en garde cependant un beau souvenir.

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  9. J’ai énormément aimé Jane Eyre dans la traduction de Charlotte Maurat (un « vieux » livre de poche) ; j’ai pu comparer avec une traduction plus récente, et là tout m’a paru tellement plus fade, je pense que je n’aurais pas accroché de la même façon si je n’avais connu que ce texte plus récent ; c’est fou l’importance de la traduction quand on ne peut hélas pas goûter le texte original !

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