[Lolita – Vladimir Nabokov – 1955]
Lire la perversion. Me plonger dans une œuvre déviante et scandaleuse. Voilà ce que me promettait Lolita sous sa couverture séductrice. Et, contre toute attente et tout pêché, j’y ai découvert un roman d’amour pur, la confession dévote et passionnée d’un homme que, malgré la laideur de ses actes, fruits d’une pensée souillée, je n’ai pas réussi à détester.
L’histoire, on la connait tous – ceux qui n’ont pas lu le livre auront surement visionné le film de Kubrick : Humbert Humbert, bel homme de lettres plus porté sur les jeunes filles prépubères que sur leurs mères, s’installe à Ramsdale, New England. Il y tombe amoureux de Dolorès Haze, « nymphette » de 12 ans, en qui il aperçoit le spectre d’Annabelle, son amour d’enfance, celui-là même qui déclencha une fascination particulière pour les fillettes.
Obsédé par sa mignonne Dolorès, Humbert Humbert s’impose une stratégie de chasseur, ne vivant plus que pour cette proie candide et sensuelle, à l’innocence câline déjà bien entamée. Lorsque le prédateur arrive à ses fins, et goûte enfin à la chair de sa demoiselle, tout sera mis en œuvre pour ne pas perdre la précieuse enfant, et un chantage odieux s’instaure entre les deux personnages.
Sordides sont les pensées d’Humbert Humbert, révoltants sont ses actes ; et pourtant, l’on ne peut s’empêcher de ressentir une profonde empathie à la lecture de son témoignage (Lolita est rédigé à la première personne, du point de vue du prédateur), mûri en prison, où l’inculpé mourra dans l’attente de son procès. Car s’il est fou, le pédophile l’est avant tout d’amour, et ce feu brûlant pour sa (trop) jeune compagne, qu’il touche comme un amant et regarde avec la tendresse d’un père, traînera le lettré, intelligent et riche, dans la pire des déchéances.
Mais de la sympathie, bon sang, de la sympathie, est-ce bien possible ? Par une écriture très soignée, un brin cynique mais jamais pleureuse, Nabokov réussit un coup de maître : renverser l’esprit du lecteur attendri qui, éludant la pression « humbertienne » que subit Lolita (au corps vendu à des caresses adultes, aux faveurs monnayées contre un bout de vie normale), se surprend à considérer l’antihéros avec apitoiement. Et en oublie la vraie victime, cette fragile Dolorès Haze, à la jeunesse condamnée, au quotidien passé sur les routes au côté de son amant paternaliste, comme une fuite en avant.
Je l’ai lu il y a longtemps et en garde un très bon souvenir, pour son style avant tout. Mais c’est en effet un roman ambigu, comme le sont souvent d’ailleurs la plupart des bons romans dont la lecture prête à de multiples interprétations, ce qui fait leur richesse.
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Un très bon article ! Je ne l’ai pas lu, ni vu, mais cette histoire de point de vue du prédateur, et d’empathie envers lui m’intrigue beaucoup.
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C’est fou comme l’on se fait tromper par Nabokov, qui fait passer Humbert Humbert pour un homme généreux et sage, mais soumis à ses pulsions ! (ou, du moins, c’est ainsi que j’ai ressenti le personnage)
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Super critique, tu m’as donné très envie de le lire 🙂
J’aime bien ces romans qui nous font douter ou nous faire éprouver de l’empathie pour une personne moralement peu défendable, c’est là où le talent de l’auteur peut vraiment faire la différence.
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Merci. Et c’est vrai que Lolita est un très bon exemple de roman où le grand méchant loup se transforme en agneau dans le coeur des lecteurs ! L’expérience de lecture en devient très intéressante.
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J’ai adoré le style de Nabokov.
Même si le sujet est tabou et les actes de HH scandaleux, son récit qui ressemble plus à une plaidoirie nous fait ressentir une forme de compassion, voire même de pitié pour celui qui sera également la victime de cette aventure avec Lolita.
C’est en tout cas l’impression que me laisse la lecture du roman.
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J’ai ressenti exactement la même chose ! On se prend aisément de pitié pour Humbert Humbert, grâce à la plume de Nabokov qui nous manipule adroitement.
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« se surprend à considérer l’antihéros avec apitoiement » Je trouve que ta phrase résume très bien ce que j’ai ressenti pendant ma lecture et j’ai toujours eu du mal à l’expliquer aux autres. C’est une drôle de coïncidence que je tombe sur ton article alors que j’avais envie de le relire récemment en anglais. Peut être que je n’aurai pas les mêmes difficultés vu que je l’ai découvert en français. Bref,merci pour cet avis.
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Tu me fais penser qu’il faut vraiment que je le relise en version française pour en saisir toute la substance !
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Je l’ai lu quatre fois ce livre et j’ai encore envie de le relire. C’est un chef d’oeuvre vraiment car à chaque relecture je découvre de nouvelles choses, je sais qu’à ma dernière lecture j’ai trouvé Humbert Humbert totalement narcissique et vicieux ce que je n’avais pas ressenti à la première lecture. Comme toi j’ai surtout ressenti de la compassion pour ce pédophile… Cependant quand on lit Tigre Tigre, on comprend vraiment qu’Humbert est un véritable prédateur… ce qui rend l’ouvrage encore plus malsain et intense.
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Je suppose en effet que plusieurs relectures sont nécessaires pour vraiment cerner les personnages (enfin, surtout Humbert Humbert) et les envisager sous toutes les facettes. J’envisage d’ailleurs de relire Lolita dans les années qui viennent, avec plus de maturité. Mais peut être en français, car l’approche en anglais a été un peu dure…
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