Bouquin #212 : Le rêve du village des Ding, de Lianke Yan

[Le rêve du village des Ding – Lianke Yan – 2005]

Il y a trois étés de cela, je découvrais la plume exquise de Lianke Yan grâce au magnifique conte Les jours, les mois, les années. Je m’étais évidemment promis de prolonger très vite l’expérience, notamment avec ses écrits plus politiques – l’auteur fait hélas partie de la longue liste noire des dissidents privés de parole en Chine – et m’étais donc ruée sur Le rêve du village des Ding… Mais je papillonne beaucoup (beaucoup trop !), et ledit bouquin a finalement sommeillé dans mes étagères jusqu’à tout récemment. L’effroi, cela dit, fut intact. Car sous un ton confinant presque au burlesque, une Chine macabre se dévoile : celle des mensonges d’état et des illusions perdues ; une Chine rurale, rouge canicule et brisée par l’ignorance…

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Bouquin #165 : Le septième jour, de Yu Hua

[Le septième jour – Yu Hua – 2013 ; rééd en Babel poche 2018]

Lecture de hasard : je devais partir à Porto quelques jours entre copines, et afin de satisfaire aux bons désirs bagagiers des compagnies charter, j’ai du me restreindre à n’emporter qu’un tout petit mini riquiqui bouquin dans mon tout petit mini riquiqui sac à dos. Arrivée à l’aéroport, déconfiture : vol annulé, pas l’ombre d’un décollage pour les jours à venir, ravalez votre déception et circulez, y’a rien à voir. Je me retrouve donc, par dépit, à Nantes. Adieu les pasteis de nata et la livraria Lello. Bonjour l’orgie compensatoire de kouign-amann et la visite de rigueur chez Coiffard, temple de beau bois et de bonnes feuilles. C’est donc dans une librairie bien française, sans escalier majestueux à la Poudlard mais avec quelques solides échelles, que je trouve de quoi subsister et alourdir mon sac. Tout ça pour dire : sans les contrôleurs aériens et leurs grèves fort emmerdantes mais compréhensibles, je n’aurais sans doute jamais fourré mon nez dans le bouquin dont je m’apprête à te parler. Et j’y aurais sans doute perdu quelque chose…

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Bouquin #115 : La mélopée de l’ail paradisiaque, de Mo Yan

[La mélopée de l’ail paradisiaque – Mo Yan – 1988]

Quel titre ! Mais quel titre ! Malicieux, piquant, terriblement ironique : quelques mots assemblés en un sourire-fil-de-fer pour une histoire merdique, au fond du trou. Paradisiaque, ah, la belle affaire ! Le bel enfer ! Venez à jeun, mouchoir – et second degré – en poche : laissez-vous conter la pestilence et les coups de fouet, la révolte et les chaînes… et, sous ce magma de crasse, de désespoir, le combat d’un amour pur qui suffoque et file droit vers l’échec.

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Bouquin #84 : Les jours, les mois, les années, de Lianke Yan

[Les jours, les mois, les années – Lianke Yan – 2009 pour la traduction française]

Un homme, vieux. Un chien, aveugle et fidèle. Et cet unique pied de maïs, dressé de tout son vert contre une sécheresse terrible, et pour la survie duquel l’aïeul et son compagnon borgne se battent pendant des jours, des mois, des années sans eau ni espoir. C’est un récit-combat, tissé avec la soie des contes et les enseignements de la parabole. J’ai aimé ce texte de Lianke Yan jusque dans sa moelle, pour sa foudroyante beauté et sa réalité bien trop cruelle, pour l’expression poétique d’un combat millénaire, pour sa plume orale, simple et magnifique à la fois… Lire la suite

Bouquin #80 : La route sombre, de Ma Jian

[La route sombre – Ma Jian – 2014]

Je me suis lancée dans ce roman un peu à l’aveuglette, l’œil frôlant le résumé sans s’y attarder. Et ce fut un choc dès les premières pages : au fil des lignes se dévoilait un chef d’œuvre de violence, de tristesse et d’engagement. La route sombre marque ma première rencontre avec l’écrivain chinois dissident Ma Jian, ainsi que l’évanouissement d’une image glorieuse : la Chine, que je pensais pays de la prospérité et du bonheur, m’est ainsi apparue sous un jour cruellement réaliste et d’une noirceur absolue. Lire la suite

Bouquin #31 : L’Amant, de Marguerite Duras (et un message au Con)

Ce n’est pas nouveau, mais on vit avec de sacrés cons. Quelquefois, ils cherchent à s’exprimer. Autant te dire qu’ils le font mal : leur plume à eux c’est la kalach, leur encre, du sang. Du sang de tous bords, de tous genres, de toutes opinions et de toutes cultures. Eux ils s’en foutent, de substituer aux mots des rafales de balles : on l’a dit, ils sont cons. De sacrés cons. Auraient-ils pu l’être un peu moins ?

C’est là que l’on brandit la culture, l’éducation, l’ouverture sur le monde, toutes réunies sur le même étendard de la tolérance, le meilleur des gilets pare-cons, dira-t-on. Mais est-ce si facile ? L’accès à la culture s’est démocratisé grâce au Dieu internet, mais les dispositions de départ ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Les livres sont là, à portée de bibliothèque, moins chers qu’un paquet de clopes : encore faut-il en avoir l’envie, y voir un intérêt, ne pas s’en être forgé un dégoût comme reflet d’un dégoût plus grand, d’un dégoût d’une société qui t’a abandonné, toi, l’enfant devenu un sacré petit con.

Que l’on ne s’y méprenne pas : le bilan est amer, j’écris les larmes aux yeux et je ne vais pas te défendre, sacré con. J’espère juste que tes gosses, tes cousins, tes potes un peu moins cons que tu ne l’étais, seront un jour touchés par un bouquin, un film, un truc de la culture qui pourrait leur ouvrir les yeux. Ou un sport. Ou une association. Ou un job, ou un sourire. N’importe quoi qui les sauve et qui morde dans leurs œillères de con.

J’aimerais jouer un rôle, je ne sais pas lequel. Alors je continue d’écrire. Je continue de lire. Je continue de m’investir, à mon niveau, pour une culture désacralisée et libre.

Et puisque le drame est survenu page 92, un certain vendredi soir, je te parle de L’Amant.
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