Bouquin #189 : Suiza, de Bénédicte Belpois

[Suiza – Bénédicte Belpois – 2019]

Étrange comme ce roman m’a happée et énervée. Comme je l’ai dévoré avidement, le cul sur mes principes, et comme je le rejette à présent – en vérité, c’est Suiza qui s’éloigne comme il est venu, sans trop de bruit ni de conséquences. Pour résumer : je reste perplexe. Pourquoi tant d’éloges pour un texte cousu de saillies machistes, qui semble agir sans but, avec à peine de quoi attendrir ?

189 Suiza

J’avoue, j’ai cédé au jeu de l’influence 2.0 et je suis allée piocher cette dernière lecture sous les (inévitablement bons) mots d’Agathe : un coup de cœur en majuscules, ça ne se refuse pas. Je suis entrée en Suiza comme dans un bon bain, touchée par la rencontre de ces deux êtres trop bancals pour tenir la route, tout de suite envoûtée par la plume sensible et violente de Bénédicte Belpois – c’est un premier roman seulement, et une écriture déjà faite, dans sa justesse et sa crudité.

Et puis j’ai tourné en rond.

Parce que l’histoire n’avançait pas, ou du moins, pas comme je l’aurai souhaité, selon mes douces convictions de bonheur équitable et de respect des corps et des âmes.

Mais je vais trop vite. Commençons donc par résumer : tu ne trouveras que trop facilement là où le bât blesse. C’est l’histoire de Tomas, quarantenaire dégueulasse et paumé, tout juste diagnostiqué cancéreux de surcroît, qui voit sur son chemin apparaître une jolie petite pépette, rouquine aux seins tendres et à la bouche lustrée, légère comme un vent printanier, hyperbandante et un peu conne – histoire de faciliter les choses. La gamine a vingt, vingt-cinq ans, elle ne pipe pas un mot d’espagnol (tout ça a lieu en Galice) et a fui son foyer suisse pour aller voir la mer. On l’appelle ainsi « Suiza » – à défaut, on la siffle.

Tomas pose donc ses yeux sur la mignonnette et il en a les cojones qui lui grimpent au cerveau. Il faut la baiser, la frapper, là, tout de suite. Il faut la remplir, la retourner, la plier en deux et la faire crier.

En preux chevalier du désir, Tomas débarque donc chez Alvaro, tenancier du bar où travaille la petiote, il embarque Suiza qui se laisse faire sans protester (see up, elle est conne et mutique, c’est pratique) et la chevauche comme un diable dans un champ environnant. Plus tard, Suiza rejoindra sa maison moche et bancale, il la nommera avec fierté « ma femme » comme l’on dit « ma chose » et la laissera à ses activités de fée du logis : en quelques jours, plus aucune poussière, des draps qui sentent bon, une cuisine simple et goûteuse et des lèvres toujours offertes à la bite royale. Le pied !

Sauf que ça n’évolue pas. Ou alors, vraiment mal. Du genre : Tomas, ta femme s’ennuie, elle n’est pas heureuse, achète lui des nouveaux vêtements et du maquillage. Et Suiza de gazouiller de bonheur face à la si grande générosité de son prince charmant. Et puis, cette fin… franchement, je me retiens pour ne rien spoiler, mais c’est à vomir de colère et d’incrédulité.

Bref, tu vois le topo. « Mais c’est normal, c’est la Galice profonde ! », m’a objecté notre repré Gallimard lorsque j’ai émis quelques doutes sur ma lecture. Certes. « Une ode au désir et aux doux plaisirs de la vie », ai-je aussi pu lire à peu près partout, à tel point que je me demande si ce n’est pas moi la prude, la coincée du cul, si je ne devrais pas un tant soit peu oublier mes convictions féministes lorsqu’il s’agit de littérature.

C’est con, parce que Suiza m’a presque plu, malgré tout. J’ai éprouvé la grande tendresse – impitoyable – versée par l’auteure à l’égard de ses personnages. J’ai trouvé juste chacun de leurs mots, j’ai frémi au contact de leurs corps. J’ai même ressenti un peu d’amour.

Mais ce ne fut pas suffisant pour occulter le reste : violence banale, crachée, violence d’habitudes et de qu’en dira-t-on.

Éclaire donc ma lanterne : tu as lu Suiza ? Qu’en as-tu pensé ? Je suis perdue…

16 réflexions sur “Bouquin #189 : Suiza, de Bénédicte Belpois

  1. Je n’ai pas lu Suiza mais je sais que je ne lirai jamais. J’ai des convictions féministes très féroces surtout en littérature et un rien peu anéantir le plaisir que j’ai un livre si les personnages féminins deviennent objets d’une société patriarcale. Et la réception du roman face à son public montre bien qu’on est encore en plein dedans et que le combat pour l’Egalité n’est pas terminé.

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  2. Je ne l’ai pas lu et là, de suite, je suis presque sûre que je ne le lirai pas. je suis fatiguée de ces premiers roman lancés à coups de pub sur les réseaux sociaux avec des critiques dithyrambiques … Merci quand même pour ta critique qui faute de m’avoir donné envie m’a beaucoup fait sourire (mention spéciale pour la photo, j’adore !!!) !

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  3. Je l’ai lu, et j’ai vu autre chose. Au contraire pour moi, quelle ode à la femme ! Oui ce type est brut de forge, mais si vous levez l’armure, si vous lisez un peu au delà, quelle tendresse pour cette femme. Il ne la « chevauche » pas, il a juste un rapport sexuel minable dont il a honte, et c’est elle qui lui apprendra la douceur, la tendresse. Au contraire, j’ai trouvé les personnages féminins forts, et le démontage des clichés machistes assez réguliers. La fin m’a rendue triste, mais j’ai réfléchi : pouvait-il en être autrement? Impossible. Nous aurions trouvé ça gnangnan. Sincèrement pour moi, un super bouquin qui a le mérite de ne pas être politiquement correct.

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    1. Merci pour votre avis Louise ! Je reste toutefois sur ma position, j’ai eu du mal à percevoir l’amour de Tomas pour Suiza (ou sinon, si maladroit !) Et peut être que le démontage des clichés machistes, comme vous dîtes, vient de l’absurdité de leur accumulation ? Je ne sais pas… Merci en tout cas pour votre avis éclairé.

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  4. Personnellement, j’ai adoré ce bouquin. Brut, mais pas que, au contraire. Derrière la rudesse des mots, une indicible bonté, une tendresse énorme. Je suis féministe, du moins je le crois, mais rien ne m’a choquée dans ce récit. J’ai compris cette violence de la solitude, de la misère sexuelle et sentimentale. D’ailleurs, j’ai écouté l’auteure: https://aufildeslivresblogetchroniques.wordpress.com/2019/03/23/rencontre-benedicte-belpois/ et je suis assez en phase avec son discours. Je comprends ses motivations. Je suis surprise que ce livre fasse débat : on lit des choses bien plus « trash » de nos jours et dénuées de sentiments : on peut avoir un amant qui adore vous filmer quand vous mettez un tampon, on peut voir des cunnilingus baveux, à la limite d’une pornographie de bas étage et cela ne fait pas débat… Curieux. J’ai vu, j’ai lu, pour une fois des scènes sexuelles vraies, touchantes, excitantes, même. Ok, ces scènes sont Hétéro à 200% j’en conviens et si vous invitez vos lectrices à venir sous la couette avec vous, je peux imaginer que cela vous hérisse.
    Vous dites, assez justement, « J’ai lu, le cul sur mes principes », pour moi, déjà quelle victoire ! Quand un auteur me fait sortir de mes principes, rien que pour l’exploit, je note 10/10.
    J’ai aimé, j’ai trouvé que sous ces airs de simplette, cette Suiza avait le pouvoir, un pouvoir féminin, basique certes, mais quel pouvoir tout de même ! J’ai aimé ce Tomas, je l’ai trouvé droit malgré tout, abandonné, dans une solitude affective terrible, malade, à terre, sauvé quelques jours par un amour jusque là fantasmé. J’ai aimé la fin, tragédie grecque, qui m’a semblé la seule fin possible. Je m’en doutais, la redoutais. Bref, relisez Madame, relisez.

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    1. Bonjour, et merci pour votre avis (dont je ne prends connaissance que maintenant, car je ne fais pas de « rétention de commentaire » pour reprendre vos termes, je n’ai simplement pas eu le temps de me pencher sur le blog depuis un bon mois…). Je ne relirai certainement pas Suiza de sitôt, une seule approche m’a suffi, néanmoins je vais jeter un œil au lien que vous proposez, puisque je n’avais pas pris le temps jusqu’à présent d’écouter ce que l’auteure avait à dire sur ses écrits, qui pour moi ne sont pas trash – j’ai lu bien pire en terme de violence physique, morale et sexuelle, mais juste un peu has been, car j’ai beau creuser dans mes souvenirs de lecture, je ne trouve aucun, absolument aucun pouvoir à cette mignonne petite Suiza. J’ai pourtant beaucoup aimé le personnage de Tomas, sa droiture, son rapport au labeur et sa solitude immense. Son comportement envers la pépette m’a en revanche déplu – même s’il est le fruit d’une condition affective et culturelle, d’un machismo ancré dans les consciences. Sur ce, je m’en vais lire l’interview que vous avez partagée ! Merci encore et belle journée. Lola.

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