Bouquin #155 : L’Archipel du Chien, de Philippe Claudel

[L’Archipel du Chien – Philippe Claudel – mars 2018]

Philou ! Grands dieux, Philou ! Mais que s’est-il donc passé ? Rage de dents, vague à l’âme ? Crise de la pré-soixantaine ? Philou, où as-tu caché ton acuité à dire les choses ? Que signifie ce nouveau titre fourbi de haine et de dégoût des hommes ? A sa lecture, deux envies jumelles : plonger du viaduc de la Recoumène ou me jeter dans la Loire les pieds lestés. Adieu, monde cruel. L’Archipel du Chien en est le sale portrait. Vous êtes tous des bons gros connards, y’en a pas un pour rattraper l’autre, je me tire. On se revoit en enfer.

archipel du chien claudel

Franchement, faut pas me faire ça en congés. Me foutre le moral tout raplapla à grandes bennes de noir synthétique, quelle idée ! Pourtant, le pitch de départ était louable. Et même plutôt bon : placer l’action en huis-clos, sous l’ombre d’un volcan tempétueux, y intégrer quelques personnages racés et universels – ne les réduire d’ailleurs qu’à leur fonction ; voici les éléments d’une parabole peut-être un brin facile mais intelligente et efficace, pourvue qu’elle soit bien menée. Étincelle de choix que cette image simple et rude de corps noirs échoués sur le rivage, qui nous rappelle à notre merdier moderne et à nos hontes ordinaires, nos paupières fondues de ne pas vouloir témoigner. C’est bien vrai, Philou, nous ne sommes pas tous des saints. La Méditerranée avale son dû et cela nous arrange. Moins d’ombres à saluer au coin des rues. Moins de regards affamés à soutenir, moins de coupelles tendues vers l’obole. On se console, bienheureux et aveugles, en éteignant la télé.

Sur cette petite île de l’Archipel, baignés par les fumerolles du Brau, tous prennent le parti d’oublier. Faire semblant. Il n’y a jamais eu de cadavre dans la baie, et quiconque s’oppose à cette nouvelle réalité risque le blâme. Faudrait être con pour s’insurger. Con ou idéaliste, comme cet Instituteur à la guimauve qui fourre son nez dans le dégueulasse à des fins de vérité. Il dérange – d’ailleurs, on ne l’a jamais bien senti, lui qui vient des terres ; éliminons-le. Qu’il ferme son crachoir, et à jamais.

Jusque ici, tout se tient. Quelques accents du Rapport de Brodeck, un ancrage contemporain, du suspense – tableau bien cadré, bien qu’un poil convenu. Ça fait un bon scénar, découpé propre et au message clair.

Mais Philou-la-déprime sort le grand jeu.

Et l’ensemble se casse méchamment la gueule.

Ô supplice : nous voilà face au juge-tout-puissant, embarqués pour un sale quart d’heure. Ça tourne au vinaigre : ton sentencieux, phrases à l’emporte-pièce, ambiance comptoir à deux heures du matin. Les hommes sont nés méchants et le resteront : la belle affaire ! Je pensais la même chose à 15 ans et je l’écrivais sur mon skyblog. Mais le pire, c’est que je l’écrivais avec – presque, hein, tu t’en doutes – les mêmes phrases de rancœur.

Il y a plusieurs manières de faire du noir. Il y a le noir intelligent, subtil et poétique, celui de l’action servie crue et sans exégèse, offrant son arène au silence et aux non-dits. Et il y a le noir grossier, le noir goudron, celui qui en fait des tonnes, qui décrit et moralise, qui sépare le bon du mauvais, qui méprise et qui se fout de tout. C’est un noir aux tristes accents de vieux con, un noir qui ne fait pas avancer les choses, qui étouffe, qui braque. Ma foi, Philou, tu sembles t’être trompé de case sur le nuancier.

Et c’est bien dommage, puisque sans cette obsession de morale, L’Archipel du Chien reste une histoire crédible, peut-être même bonne.

J’attends donc le prochain opus, bien mollement…

5 réflexions sur “Bouquin #155 : L’Archipel du Chien, de Philippe Claudel

  1. J’ai suivi ton ressenti de lecture sur Instagram et, effectivement, ça ne me donne pas vraiment envie de m’y plonger… Pourtant, sa plume et son univers m’ont énormément plu dans La petite fille de monsieur Linh et Les âmes grises, mais je passerai mon tour !

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