Bouquin #127 : Personne ne gagne, de Jack Black

[Personne ne gagne – Jack Black – mai 2017 (réédition)]

En voilà un dont j’ai guetté la sortie avec avidité. Penses-tu : on me promet de l’aventure, du rail, des coffres à percer, et tout cela sous le bel enrobage de la collection des grands animaux chez Monsieur Toussaint Louverture ; je signe ! Et comme prévu, c’est aussi beau que bon : j’ai passé un excellent moment de cavale aux côtés du voyou Jack Black, à errer de bouges en prison, dans une ambiance de qui-vive éreintante mais tellement palpable, tellement humaine – bref, ce bouquin est sans surprise un petit bijou qui mérite amplement sa seconde vie.

127 Personne ne gagne Jack Black

Jack Black : avouez, ce nom en jette. Il en a eu plusieurs, le filou, mais celui-là harponne et pare le personnage d’une juste dose de dureté et de mystère – c’est un nom de légende.

L’homme est né Thomas Callaghan, a grandi dans le Missouri des années 1870 et s’est pris au jeu du banditisme par voie de presse, à 14 ans… chez les bonnes sœurs. Rien ne disposait le garçon, sage enfant de chœur, à foutre le camp sur un mauvais aiguillage, et pourtant : parvenu au bout de son éducation catholique, après quelques années de menus travaux auprès d’un père indifférent, le voici à prendre la route par hasard, « vers l’Ouest, en quête d’aventure ».

Quelques rencontres façonnent le novice qui tâte à présent du terrain avec l’impatience des débutants : on assiste, médusés et tout aussi excités que notre camarade Blacky, au premier larcin, à la première effraction, au premier train pris en douce… puis à la première arrestation, début d’une longue enfilade de cachots, de matons et de juges, seconds rôles tenaces aux apparitions bien trop fréquentes et jamais de bon augure.

Au fond, la vie de Blacky – du moins la période dans laquelle il choisit de tremper la plume – est une éternelle valse aux trois temps immuables : méfait, prison et fuite. On pourrait s’en lasser, tant les situations se croisent et s’accumulent sans distinction – le tournis nous guette entre vol de maison et perçage de coffre, entre cachot canadien et cellule américaine, entre untel salué par ici et bidule entrevu par là…

Pourtant, on accroche sans mal à ce rythme bien rodé : cela grâce à l’ambiance, extrêmement palpable car saturée de lieux communs issus de notre imaginaire collectif. Lire Personne ne gagne en France et en 2017, alors que le monde des hobos, des aventuriers du rail, des colts chromés et des évasions tranquilles a depuis longtemps disparu (et qu’il ne nous a d’ailleurs géographiquement presque jamais touchés), c’est plonger dans un monde largement étayé par tout un panel d’images et d’impressions déjà assimilées à travers l’idée mystifiée que l’on se fait des Etats-Unis à cette période, voire même des Etats-Unis tout court. Je n’ai pu m’empêcher, ainsi, d’associer à ma lecture les sales gueules de Walker Evans et un certain air d’harmonica : c’était mélanger périodes et styles, mais qu’importe, car au même titre que ces icônes graphiques et musicales, Personne ne gagne constitue à mes yeux – et je ne le remarque curieusement qu’à l’heure d’écrire ce billet – un élément de mythification de ce nouveau monde toujours un peu « spécial » et esthétiquement, culturellement codé – du moins pour l’Européenne lambda qui n’y a jamais posé un orteil. On ne peut lire ce bouquin comme un simple regard souterrain, un document d’époque : il transporte avec lui une saveur exportée et transformée par notre position, et cet « embarquement » m’a été, cette fois-ci, extrêmement perceptible.

Voici donc mon expérience de lecture : à la fois pleinement dans le texte et au-dessus, à analyser la réception que j’en ai faite. Du reste, je me suis amusée comme une apprentie-rebelle à observer ce formidable Blacky préparer ses mauvais coups et dévaliser les honnêtes gens : pour un peu, j’aurais presque essayé de cambrioler le voisin, juste pour dupliquer dans le réel les poussées d’adrénaline prodiguées par le récit – c’est dire comme l’on s’y croit, comme l’on vit entièrement la chose !

Pour résumer : bel objet, aventure au poil, et tout ça pour pas même douze balles. Merci Monsieur Toussaint Louverture !

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6 réflexions sur “Bouquin #127 : Personne ne gagne, de Jack Black

  1. J’ai eu le plaisir de découvrir ce merveilleux livre un peu avant sa sortie et, depuis, il est toujours quelque part dans un coin de ma tête.
    Tu en parles si bien que j’ai retrouvé pendant quelques minutes les sensations que j’avais eues durant ma lecture.
    Et comme tu le dis fort justement : Merci Monsieur Toussaint Louverture ☺ et merci à toi pour cet article !

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  2. J’étais très perturbée de voir un roman de Jack Black – l’acteur – édité chez Monsieur Toussaint Louverture mais je comprend tout de suite mieux !
    Bon, et maintenant j’ai très envie de le lire (comme tous les textes de la maison d’édition en fait)

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