[Pnine – Vladimir Nabokov – 1957]
Au début, on pourrait le croire simple maladroit, curieux débonnaire. Timofey Pnine arrive en gare et saute dans le mauvais train. Avec enthousiasme, naïveté – les charmes du parfait antihéros. Puis les saynètes s’enchaînent, décousues : Pnine, marionnette un peu gauche, évolue en société sous les yeux d’un narrateur plein d’esprit et à l’humour chatouilleur…
L’on rit, souvent. De Pnine, d’abord, et dès la troisième ligne : universitaire vieillissant au corps ingrat, au crâne « idéalement chauve » et à l’anglais rudimentaire, éternel célibataire aussi maniaque que malhabile, l’homme collectionne les gaffes et occupe l’espace avec lourdeur. Le personnage est esquissé en une poignée de phrases piquantes et de situations impromptues : à force de maladresses, l’on finit par s’attacher à cet homme dont on devine, au fond, une inadaptation à la société dans laquelle il vit – société qui, une fois le lecteur conquis, passe à son tour sous les griffes de Nabokov…
Et attention aux barbelés, car le sarcasme est de sortie ! Épaulé de son pantin Pnine, l’écrivain tisse son roman en vignettes, et porte un regard aigu sur un monde de sphères closes, où les relations humaines ne peuvent s’établir sans un brin d’ambiguïté… et beaucoup d’hypocrisie.
Cela donne des dialogues exquis, délaissés de toute franchise, peuplés de non-dits et de périphrases tordues et tordantes. Cibles principales : le petit univers des facultés américaines, que Nabokov a bien connu, les folies inhérentes à la psychiatrie (et à ses praticiens !), et, surtout, le microcosme ouaté et très corporate de la diaspora russe aux États-Unis.
Sur ce dernier point, l’humour dépasse ses simples prétentions ironiques pour viser, à mes yeux un but plus profond, plus mélancolique : en mettant en scène la nostalgie de ses pairs quant à une vieille Russie d’avant la guerre froide, Nabokov offre à son texte une dimension très personnelle, à l’intime à peine caché par le rire – car il faut bien l’amocher un peu, ce spleen bourgeois qui referme sur soi et n’avance à rien…
L’humour, pleinement moqueur mais toujours bon enfant, outrepasse ainsi les cercles clos et confortables de la société, plaçant l’auteur aux marges et le regard en recul : à travers Pnine, ami et peut-être un poil alter-ego, Nabokov dresse un portrait, en fragment, de son Amérique – celle du savoir, des bibliothèques empesées et des communautés bon chic bon genre. On y retrouve quelques unes de ses obsessions (jeu d’échecs, lépidoptères…) et cette plume joueuse, parfois jubilatoire, aux virgules indénombrables et à l’acuité savoureuse.
Lisez donc Pnine : c’est un délice d’humour et de douce nostalgie, un hommage aux « attachiants » de ce monde… une petite merveille.
Encore une fois, une très belle chronique qui me donne envie de lire ce roman (et de découvrir cet auteur par la même occasion) ! 🙂
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Merci ! Tu peux commencer par Lolita pour découvrir Nabokov, c’est sans doute son roman le plus « grand public » et un de ses meilleurs !
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Superbe !
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j’aime beaucoup chez Nabokov cette folie pure, paranoïaque, c’est vrai qu’elle est un peu déjà dans Lolita mais c’est dans Pnine et les autres romans moins connus que ça se voit !
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Chouette chronique… Je ne connaissais pas Pnine mais Lolita. Merci et bonne nuitée.
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Je vais suivre ton conseil et commencer par Lolita. J’avais aussi noté « Autres rivages » du même auteur. C’est son autobiographie sur laquelle une phrase m’avait interpellé « Si je hais la dictature soviétique, ce n’est pas pour des biens ou des billets de banque, c’est pour une enfance perdue ». Joli, non? Encore une fois une jolie chronique 🙂
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Très joli… Nabokov a quitté la Russie vers 18/19 ans je crois, et n’y est jamais revenu hélas.
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Miam, tu me donnes envie. J’ai adoré Lolita il y a quelques années, il faudrait que j’achète celui-là !
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J’ai envie de découvrir Nabokov plus que je ne le connais déjà (oui Lolita est de loin mon livre favori) et ton avis très bien écrit me donne envie de lire ce livre !
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