Bouquin #55 : En Patagonie, de Bruce Chatwin

[En Patagonie – Bruce Chatwin – 1977]

Volubile, l’ami Bruce. Plume montée sur ressort, encre baroudeuse prête à brosser le portrait de tous ceux qui peuplent cette terre du bout du monde : la Patagonie. Au point, parfois de frôler l’indigestion. La prose touffue, tissée de noms et de routes, nécessite une concentration optimale et de longues plages de repos. Pourtant, malgré cet abord prolixe et sans méthode, Chatwin dessine un portrait vivant et amoureux de l’exil et de la recherche de soi dans l’immensité sud-américaine. 55 Bruce Chatwin In Patagonia

Cela commence avec un rêve de gosse élaboré dans la salle à manger d’un cottage familial, en Angleterre : quel est ce bout de peau un peu épais, piqué de poils drus et rougis, que la grand-mère expose religieusement dans une vitrine ? « A piece of brontosaurus », le jeune Bruce s’entendra-t-il répondre. Et l’enfant de construire son propre fantasme autour de ce reliquat de dinosaure trouvé dans une grotte lointaine, en Patagonie.

Lorsqu’il y débarque en décembre 1974, c’est avec ce même regard innocent, doublé d’un appétit pour la petite et la grande Histoire. Chatwin vadrouille, rencontre, explore les passés des uns et des autres et modèle, de récit en récit, le visage aux mille facettes du royaume dont il a tant rêvé.

Le voyageur n’a passé que quatre mois à sillonner les chemins et les vies de Patagonie ; pourtant, on jurerait volontiers que ce temps fut dix fois plus long. Que de richesses glanées aux quatre vents et retranscrites dans leur essence brute ! Les lignes font revivre Butch Cassidy en cavale, Orélie-Antoine de Tounens et sa mégalomanie de gouverneur autoproclamé, et quelques inconnus, allemands français espagnols anglais gallois, exilés dans un paradis à peine dompté dont Chatwin nous dépeint les couleurs et les minéraux.

Certains passages submergent par la force de la narration, les violences des caractères : on s’y croirait. D’autres, en revanche, s’épandent en bavardage essoufflé, et poussent à l’ennui. Qu’importe : En Patagonie ne suit aucune trame si ce n’est celle des pas d’un Chatwin avide de découverte, et laisse libre le lecteur de piocher çà et là le cours de quelques destins, illustres ou oubliés, mais toujours contés avec enthousiasme et admiration.

Déstabilisée par son côté informel, j’ai fini par concevoir ma propre approche d’En Patagonie, en choisissant d’aborder cet ovni littéraire comme un patchwork de dialogues et de sensations, sautant parfois quelques pages, m’attardant sur d’autres, revenant en arrière pour le plaisir de redécouvrir la moelle d’une histoire. C’est d’ailleurs le meilleur conseil que je puisse donner à qui souhaiterait se lancer dans l’aventure patagonienne sous la plume de Chatwin : prendre son temps, oublier les contraintes et déguster le récit selon son bon plaisir, à petites doses. Avant de vider son compte en banque pour s’acheter un aller simple direction Ushuaïa.

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