Bouquin #191 : Sauvage, de Jamey Bradbury

[Sauvage – Jamey Bradbury – 2018]

Encore une héroïne à la singularité troublante ! Encore une merveille qui te tord le ventre et te submerge de frissons ! Encore un bouquin qui donne envie de tout plaquer pour aller frotter son cuir aux grands espaces américains ! Bref, du Gallmeister pur jus, un immense bonheur de lecture, bouche de fer, cœur battant.

191 sauvage bradbury

Cela se passe quelque part en Alaska, au détour d’une forêt battue par la neige comme il y en a tant : région de montagnes et de lacs, vert profond et bleu acier, grand calme. Tracy Petrikoff grandit dans une clairière à l’écart du monde, à l’air libre, au milieu des chiens. Son père est un musher reconnu ; sa mère, une étrange créature cousue de silences et de renoncements qui disparaît une nuit, en bord de route, gouffre d’incompréhension dans l’adolescence de Tracy.

Le quotidien reprend ses droits, à l’ombre du manque et des secrets bien gardés. Virée de son lycée pour avoir fait saigner un camarade, Tracy épuise sa violence en forêt, à chasser tout ce qui bouge et tout ce qui se boit – elle en revient rassasiée, les mains rouges, sous les regards inquiets d’un père anéanti et d’un petit frère trop casanier pour comprendre son attachement à la vie du dehors.

Des heures durant, Tracy pose ses pièges et attend, à l’affût. Jusqu’à se réveiller un jour le cœur braillant comme un écureuil fou, couverte de sang, couteau à la main, avec le souvenir confus d’un agresseur repoussé à la dure contre les arbres aux troncs écarlates. Quelques heures plus tard, un homme traîne sa carcasse tailladée à l’entrée de la clairière…

Est-ce ainsi que l’on glisse sans conscience dans la folie ? Par une malheureuse entaille au goût fiévreux de culpabilité ? Tracy en est persuadée : Tom Hatch, le blessé, est un homme en traque. Mais de quelle proie, et à quel prix ?

Ça cavale à présent, une dégringolade à toute berzingue entre les branchages, menée dans la solitude d’une vie trop singulière pour être entendue. Un complice : Jesse, jeune type sorti de nulle part et recruté par la famille Petrikoff comme aide à tout faire – pilier de tendresse et d’inquiétude dans l’existence toute chamboulée de Tracy. Portée par une soif de sang chaud et de peurs animales, les sens battus par l’amour et la crainte d’un invisible bourreau, elle se prépare ardemment à courir l’Iditarod, mille-cinq-cents bornes en traîneau d’Anchorage à Nome, consécration pour tout musher qui franchit la ligne d’arrivée. C’est un hiver de grands changements et de combats muets.

Nous sommes à ses traces, perdus dans l’étrangeté d’un tout petit monde qui semble parfois irradier de fantastique – à moins que ce ne soit quelque obsession, une psychose secrète, tout aussi violente qu’imperceptible au yeux des gens normaux, adultes pragmatiques, affairés à leurs vies rudes et rationnelles.

Cruel et bouleversant, Sauvage m’a frappée de sa puissance – puissance à évoquer la nature nourricière et impitoyable, puissance dans les contours de ses personnages, d’une justesse et d’une beauté absolue. Tracy rejoint le chœur intime des héroïnes qui m’obsèdent et me façonnent : de cette jeune fille si particulière, je retiendrai l’immense courage et la peau dure, le deuil silencieux et la tête haute. C’est un premier roman comme seul Gallmeister sait en dénicher : un talent fou, une intensité incroyable, à boire encore et encore, jusqu’à l’étourdissement. Grand amour.

8 réflexions sur “Bouquin #191 : Sauvage, de Jamey Bradbury

  1. Bravo et merci pour cette chronique très alléchante et si lumineuse ! Je note cette référence (enfin bon, je vais sans doute me précipiter en librairie) qui me fait très envie. Ta chronique me fait penser à une novela de Jim Harrison, La Fille du fermier, dans laquelle on retrouve la même représentation d’une nature sauvage et nourricière (comme dans tous les Harrison), avec un personnage féminin fort, libre et violent. Merci pour cette découverte, il s’agit sans doute pour moi d’une très prochaine lecture !

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    1. Avec très très grand plaisir ! Je n’ai jamais lu Harrison (quelle lacune !), mais on m’a beaucoup parlé de La fille du fermier au moment de sa reparution en poche, il faut donc que je m’y mette ! Je te souhaite une très belle lecture de Sauvage, ce livre est un envoûtement…

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