Bouquin #163 : Les incurables, de Jon Bassoff

[Les incurables – Jon Bassoff – 2015 ; 2018 pour la traduction française]

J’avais une folle envie de noir et de thrills : j’ai été servie. Délice que la parution du deuxième Jon Bassoff, « écrivain dérangé » dont je comprends désormais cette juste appellation tant Les incurables gratte au plus profond du malaise et du vice, toujours plus loin dans le glauque et la folie. On en rirait presque : ça a d’ailleurs été ma première réaction, un rire nerveux et jaune, nuage de lait dans le cauchemar. Et puis on finit par ne plus rire du tout et choper la chair de poule : pitié, sortez-moi (vivante !) de cet enfer !

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Cela se passe dans les années 1950 au fin fond d’une Amérique de buveurs et d’illusionnés, dans la bourgade (fictive) de Burnwood, Oklahoma. Durango, seize ans, coiffe chaque jour sa couronne d’épines pour le regard d’un père fou, persuadé de voir en son fils le nouveau Messie. Scent, un an de plus, vend son sexe et sa bouche à qui voudra bien lui refiler quelques sous pour remplir le frigo et l’estomac d’une mère délirante.

Folle ambiance, entre fête foraine lugubre, forêt dégueulasse et rues à l’abandon.

Et voilà que, dans ce bancal jeu de quilles, déboule un énième taré de premier choix : l’incroyable, le fascinant, le salvateur Docteur Walter Freeman.

Tape le nom du type sur google et tu découvriras qu’il a réellement existé. Et que son fait d’armes le plus glorieux fut le développement et l’amélioration de… la lobotomie transorbitale.

Matériel : pic à glace et marteau.
Angle d’attaque : partie supérieure du globe oculaire.
Effet escompté : rupture des fibres reliant le lobe frontal au reste du cerveau.
Résultat : légume.

Bon appétit.

Walter Freeman a réellement parcouru les Etats-Unis en autocar pour promouvoir sa formidable technique, et à son périple dantesque (23 états, 2500 lobotomies transorbitales pratiquées à la bonne franquette, sans anesthésie ni hygiène), Jon Bassoff ajoute une étape de choix : ce trou à rats nommé Burnwood où évoluent les susnommés Scent et Durango, ainsi qu’une large flopée d’esquintés et de baveux sur lesquels faire danser le pic à glace et le marteau.

Tous en place pour le carnaval, les monstres sont le sortie ! Ne cherche pas de repère : il n’y en a plus. Ne cherche pas de sortie : la folie t’entoure. Peut-être même qu’elle te gagne, peu à peu, mensonge après vérité, dans l’opaque d’une foi nouvelle – te voilà perdu.

Là réside tout le talent de Jon Bassoff : faire ramper le doute, te pousser dos au mur. Qu’est-ce qui est vrai : ce que tu crois, ce que tu vois ? L’espérance, le rationnel ? Autant de questions qui suintent au premier plan de cette farce grotesque, dans laquelle se succèdent des pauvres âmes crève-cœur et des chapelets de tripes – ambiance surréelle, aux confins d’un très mauvais rêve, que l’on croirait cosigné par Ken Kesey et Stephen King, entre speed et dépression. Ça secoue, ça dérange, peut-être même que ça fait du bien.

(Je dois être un poil dérangée moi aussi, mais) j’ai dévoré ce truc tout noir, et je me suis régalée !

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