[Visage retrouvé – Wajdi Mouawad – 2002]
Voici bien plusieurs mois qu’il me brûlait de découvrir l’écriture de Wajdi Mouawad ; toutefois, me sentant encore peu à l’aise avec le théâtre lorsqu’il est lu, j’ai préféré botter en touche et ne pas valdinguer à corps perdu hors de ma zone de confort : c’est ainsi par un roman – son premier – que j’ai goûté une première fois aux mots de l’artiste.
Bon sang de bois. Une bombe.
On le sent dès les premières lignes, d’ailleurs, qu’au bout des mots il y aura l’explosion, que ce récit ne sera jamais calme, que ça va gueuler et gronder et nous péter à la figure – on le sent et on s’y prépare, on se cadenasse à ce livre, on en avale les signes et on ne le lâche pas. Voilà. Visage retrouvé est un livre qui ne se lâche pas.
Dès la première phrase on est déjà loin, happés par le rythme de l’écriture et le subit des situations : on se retrouve donc face à un môme de quatre ans, Wahab, qui n’a jamais pipé mot. Puis le même Wahab, quelques années plus tard, à observer un bus et ses passagers prendre feu dans l’âtre de la guerre. Nouvelle ellipse d’une poignée d’ans : Wahab a quitté son passé de sang, vit désormais à Paris ; il fête ses quatorze ans et en cette journée d’anniversaire, ne reconnaît plus le visage de sa mère.
Comment interpréter cette absence soudaine, cette éclipse de la mémoire ? Wahab s’en trouve désarçonné, le lecteur aussi : il faut fuir cet état déroutant et cette femme aux cheveux blonds, méconnaissable, ersatz de maman. Wahab fugue : commence alors un périple initiatique somme toute classique mais nécessaire à l’émancipation d’un héros perdu. Livré à lui-même et à sa sensibilité, Wahab voyage aux frontières du rêve, projeté dans un monde intérieur, distendu par la colère et la folie nouvelle.
« Dans le ciel, pas d’oiseaux. L’existence massive de la lumière. Le temps passait, mais pour Wahab, son passage avait pris une tournure différente : il n’était plus cette ligne droite et plane faisant tenir, telle une infinité de perles sur le fil du collier, toutes les réalités ciselées de sa vie : maison, école, devoirs, télévision, examens, jeux, récréations… Au contraire. Il était à présent ce soulèvement furieux d’une tempête nocturne aux confins de glace d’un océan ravagé. Des vagues en lames de rasoir. Le chaos. Le temps lui montrait sa véritable figure. Il était ce cheval gigantesque et noir dont l’œil, ouvert par la colère, le regardait de haut. »
Cinq ans après. Wahab est devenu québécois, et il peint. Sa mère meurt sur un lit d’hôpital et le jeune homme monte dans un bus pour rejoindre ce corps à l’agonie. C’est ici que l’explosion ce produit, que le roman engendre son éruption magnifique, ici même, dans ces cinquante dernières pages de monologue haché, hargneux, ce dégueulis de mots d’une puissance incroyable : merde, c’est tellement beau, c’est beau à en pleurer, j’ai pleuré.
Je n’ai pas tout compris. Je doute même qu’il y ait eu quelque chose à véritablement comprendre : pour moi, ce roman reste dans son ressenti, ses bleus laissés d’avoir trop cogné son lecteur, ses phrases frémissantes, jubilatoires, indomptables et l’épaisseur, la richesse de son sujet. Cette plume trépigne et ça se sent, cette plume me secoue et ça me plait : Visage retrouvé est un coup de cœur absolu, une de mes meilleures pépites de l’année, et je sens qu’après ça, je plongerai tête baissée dans le théâtre de Mouawad : je n’ai plus peur. J’ai hâte.
Oh oui plonge toi dans le théâtre de Wajdi Mouawad c’est absolument merveilleux, il est pour moi le meilleur auteur de théâtre contemporain et j’ai hâte de vois ses mises en scène en vrai cette année. En tous cas tu m’as aussi donné envie de me mettre à ses autres œuvres.
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J’ai tellement hâte, dès que je rentre de vacances je vais dévaliser ma BU qui possède toutes ses pièces !
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Quelle magnifique conclusion ! Tu donnes envie de le lire, même si le livre paraît dur et sombre.
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Il est assez sombre en effet, surtout la fin, mais c’est de cette noirceur qu’en naît toute la beauté 🙂
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C’est magnifique quand un roman nous procure de telles émotions ! 🙂
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Il vient de remporter le Prix du Gouverneur général du Canada 2016 dans la catégorie théâtre pour sa pièce Inflammation du verbe vivre…
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quelle belle chronique! Je viens justement de lire un court texte de Wajdi Mouawad : Un obus dans le coeur, et qui donne la parole au même personnage : Wahab, qui nous raconte l’annonce de la mort de sa mère. IL faut absolument que je lise Visage retrouvé ! Sinon, je te conseille son autre roman, Animal, qui est très fort aussi.
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J’avais lu Incendies du même auteur puis vu son adaptation cinématographique : c’était grandiose, violent, beau et une chûte à couper le souffle. Je ne connaissais pas Visage retrouvé.
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J’ai vraiment hâte de lire Incendies, je ne savais pas qu’il y en avait eu une adaptation ciné en plus !
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Vraiment un très joli article que tu as écrit pour ce livre ! Tu me donnes envie de lire d’autres œuvres de cet auteur. Celui-ci peut être un bon moyen de poursuivre ma découverte, après Incendies cet été !
Bonne soirée à toi 🙂
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Merci pour ce gentil commentaire ! Belle soirée à toi aussi 🙂
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