De l’introversion et autres soucis quotidiens

Ça a commencé à la crèche, à coller des gommettes seule, dans mon coin, pendant que la petite société de mioches de mon âge jouait au ballon, collectivement, faisait des châteaux de sable, collectivement. Moi non : je tamponnais des feuilles vierges de bouts de couleurs et ça me plaisait, ce monde technicolor de solitude, d’application et de lenteur.

Plus tard la situation s’est gâtée, oh que oui : il ne fait pas bon être le mouton noir dans un troupeau de moutons blancs en jean-baskets, au collège, à l’âge où l’agressivité – gratuite – sert de ciment aux relations sociales, si fragiles, si maladroites, si peu construites. A l’école primaire, j’ai pu sembler un peu étrange à mes camarades, qui se rappellent ma propension à vouloir faire rire, à faire l’intéressante, et ma peur, ma si grande et inusable peur de me voir délaissée de l’attention de l’autre. Au collège, cette bizarrerie ne passe pas : commence alors le flux mouvant des brimades, des insultes, des coups dans le dos et des menaces à hauteur de môme – aujourd’hui, on revêt ça d’une expression toute neuve : le harcèlement scolaire.

Ça a duré, peu ou prou, avec plus ou moins de vigueur, jusqu’au lycée où les choses se tarissent, où les esprits s’affinent et où le décalage devient bien perçu. Avec cette année horrible de seconde, cet à-pic de mes quinze ans, rejetée, bafouée, moquée, vomie par une communauté à laquelle, désormais, je n’appartiendrai jamais : celle de la bande, du groupe.

Bien sûr que ça a continué après, bien sûr que je me suis souvent tenue pour responsable de mon exclusion, à cause de cette maladresse qui me colle à la peau, à cause de mon désir aveugle de m’intégrer – car s’intégrer, c’est faire comme les autres, c’est être acceptée et ne plus avoir de souci.

J’ai un peu grandi – enfin – et je me suis rendue à l’évidence : je ne suis pas in, je ne suis pas corporate, j’aime la solitude, j’en ai besoin. La meute, très peu pour moi : ça me met mal à l’aise, ce n’est simplement pas mon truc. Oh, et il y a un mot pour me décrire : je suis introvertie.

« Et je le vis bien, merci », aurais-je envie de dire. C’est faux. C’est totalement, entièrement faux. Parce que ce matin, alors que je tapote ces lignes en désordre sur mon clavier, j’ai les larmes à l’orée des yeux et le cœur au bout des lèvres : triste et malade de constater que la discrétion et la solitude restent de grandes incomprises dans le monde des adultes. Dans le monde du travail, où dire bonjour à la cantonade plutôt que de s’enfiler quinze paires de bisettes et très, très mal vu.

Je l’ai appris à mes dépends (et par personnes interposées, sinon ce n’est pas drôle) : mesdames, messieurs, je suis une impolie de première classe. Tout cela parce que, à l’arrivée au travail le matin, je ne fais pas la bise, un geste banal qui pourtant m’effraie : c’est bête. Oh, bien sûr que j’ai essayé d’expliquer ma situation à mes collègues, bien sûr que j’ai tenté de leur parler de mon aversion pour le bisou-du-matin et de la sincérité de mes bonjours-sans-bise : nenni, que dalle, rien n’y fait, je reste une mal-élevée.

Alors que non, chères collègues (car c’est évidemment une histoire de bonnes femmes) : ce que vous prenez pour de l’impolitesse, c’est de la timidité. Ce que vous prenez pour du snobisme, c’est de l’introversion. Je ne suis plus une enfant, j’ai presque 23 ans, mais je ne me sens pas pour autant à l’aise dans la société, je n’aime pas les groupes, c’est ainsi et je n’y peux rien. Pire : je suis la première à en souffrir, la première à me demander pourquoi moi, la première à sans cesse me remettre en question, la première à sentir mon cœur galoper à 120 lorsqu’il s’agit de se présenter à une nouvelle personne. « Mais ça ne se voit pas », me diras-tu : bien sûr que non que ça ne se voit pas, que crois-tu, il faut bien survivre ! Je cache ma timidité sous de grands airs, je colmate les failles comme je le peux, je développe des stratégies, des louvoiements.

Mais certains manquent de tolérance.

Certains ne font aucun effort pour comprendre.

Et ce matin, j’en suis épuisée.

19 réflexions sur “De l’introversion et autres soucis quotidiens

  1. Oh, comme je me vois au travers de ces lignes et comme je comprends… ce n’est vraiment pas facile de vivre avec cette timidité et ce mal être permanent, et peu de gens le comprennent, je suis tout à fait d’accord… cela apaise un peu de constater que l’on est pas seule.

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  2. Je suis exactement comme cela, j’étais une grande timide enfant et ado, désormais cela va mieux mais je suis toujours introvertie, dans mon coin, ma solitude, mon cocon familiale… Je comprend ce que tu vie avec tes collègues car cela m’est arrivée en seconde j’étais mal perçue parce que je ne voulais pas me taper 30 bises le matin et que je me contentais d’un bonjour à la cantonade. Tes collègues ne sont pas intelligentes si en plus de leur avoir expliqué elles restent sur leurs positions. Je comprend que cela blesse mais dis toi que ce sont elles les malpolies de ne pas essayer de te comprendre et non l’inverse… Courage…

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  3. Je suis tout à fait d’accord avec Saleanndre et topobiblioteca… C’est vraiment beau ce que tu as écris mais aussi très triste… Je te comprends tout à fait et me vois dans certaines de tes lignes.
    Comme tu l’écris, les gens manquent cruellement de tolérance (et n’essaient même pas de se mettre à la place des personnes introverties/ timides) et ça c’est encore plus triste je trouve (et surtout pour eux !). Ca me dépasse totalement ce manque d’effort de la part de certaines personnes…

    Je comprends tout à fait ton épuisement et ta volonté d’écrire cet article…
    J’espère de tout cœur que tu iras vite mieux, car tu n’es pas la fautive dans cette situation…

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  4. Comme le disait Albert Camus :  » Etre différent n’est ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même « .
    Il n’y a aucune honte à ne pas aimer et/ou à ne pas pouvoir faire partie d’un groupe. Je partage certaines parties de tes propos..Pour contrer cela, j’ai décidé de complètement assumer mon caractère solitaire, sauvage et misanthrope. Il est vrai qu’au travail, ce n’est pas toujours évident, mais ceux qui ne m’acceptent pas comme je suis rejoignent l’immensité des individus qui font partie du paysage, un paysage certes disgracieux mais qui a le mérite de n’avoir aucun impact sur ma vie.
    Chacun ses propres parades…Tout cela pour te dire que tu ne dois pas te sentir mal du fait de ne pas convenir à certaines personnes, la vie est trop courte pour donner de l’importance à ceux qui n’en méritent pas 🙂

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  5. Courage, sincèrement. Effectivement, à l’heure actuelle, ces marqueurs sociaux ont beaucoup trop d’importance en France (moi-même je n’aime pas faire la bise, pas par timidité, pour d’autres raisons que j’estime logique et que personne ou presque ne comprend ou ne veut comprendre) = même topo : les gens de manière générale ne comprennent pas les comportements différents.
    Je me retrouve à moitié dans tes mots, le côté solitaire, le besoin de calme et de solitude, le groupe. Mais je ne l’ai pas ressenti de la même façon, j’ai sans doute eu de la chance. Aujourd’hui, je ne suis pas timide (je ne pense pas l’avoir été par le passé sauf quelques années à l’adolescence), je souris beaucoup, s’il faut parler en public, me présenter, je le fais. ça ne me colle pas de sueurs froides. Mais je comprends ceux pour qui c’est le cas et jamais au grand jamais je ne jetterai la pierre à quelqu’un qui ne se force pas à faire quelque chose qu’il ne veut pas faire. D’un sourire sincère, ce bonjour deviendrait forcé. Aucun intérêt.
    Bref, je m’étale un peu, mais c’était pour te dire qu’il y a aussi des gens qui comprennent….

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  6. Très bel article, c’est courageux d’oser se dévoiler et avouer ses failles !
    Courage à toi, la timidité peut aussi s’avérer une qualité dans certaines situations, elle apprend à écouter les autres et à ne pas « parler trop vite » dans certaines situations, il faut l’assumer !
    As-tu déjà essayé de faire des activités type théâtre ou même faire partie d’un club ? Même s’il faudra sûrement te forcer au début ça peut être utile pour apprendre à gérer certaines situations.

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  7. Ecrire un article aussi personnel est toujours très courageux.. Je me suis beaucoup reconnue dans ce que tu viens de dire, et espère sincèrement que tu parviendras à trouver une place. Ne te coince pas dans cette identité d’introvertie (bien qu’elle n’ait rien de honteux!), définis-toi par tes qualités et non pas parce que tu penses être une incompétence incurable : )

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    1. Merci beaucoup. J’ai été et je continue d’être très touchée par les réactions quant à ce billet qui me tient à coeur… Hélas, je me rends compte qu’on est nombreux à vivre dans ce certain malaise, sans pour autant pouvoir partager nos peines !

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  8. Je me retrouve beaucoup dans votre article, aussi plus « introverti » que véritablement timide. J’ai publié une série de trucs et astuces pour y pallier, vous pourriez peut-être essayer vous aussi de sortir de votre zone de confort d’introverti que j’apprécie assez bien, mais qui n’est pas socialement « efficace »:-) https://davidsuchat.wordpress.com/2017/03/20/comment-parler-a-des-inconnus-11-strategies/

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