Bouquin #54 : Un amour impossible, de Christine Angot

[Un amour impossible – Christine Angot – 2015]

On tape beaucoup sur Christine Angot, vilain cygne noir du paysage littéraire français contemporain. Angot elle écrit mal, Angot c’est pour les voyeurs, Angot c’est de la fesse sans analyse… Ainsi bardée de préjugés entendus çà et là, je me suis lancée à reculons dans Un amour impossible – titre larmoyant qui me laissait par ailleurs fortement dubitative. Et ce fut, contre toute attente, une surprise appréciable…

54 Un amour impossible angot avis critique

Sans l’avoir lue, tout un chacun connaît son histoire : Christine Angot, née Schwartz, abandonnée par le père, retrouvera à l’adolescence et à travers l’inceste cette figure perdue et malsaine. On pourra accuser l’auteure d’avoir construit une carrière en orbite autour de ce viol fertile, d’en avoir exploité le moindre recoin et de truster les rentrées littéraires à grands coups de plume sordide et lucrative. Peut-être y a-t-il un peu de vrai (contre beaucoup de méfiance) dans ce venin lancé à chaque nouvelle parution. Pour autant, j’ai perçu dans le dernier opus des aventures Angotiennes un véritable travail exécuté avec rigueur, porté par un style simple et très oral dans les dialogues (c’est ici que l’on s’élèvera contre une écriture « bornée », « miséreuse »), qui a orienté ma lecture comme celle d’une exploration sociale à la Edouard Louis, avec ses personnages clivés et mis à nus par une plume sans pitié.

Car le pathos n’a pas sa place (et heureusement) dans les veines de ce passé fragile. L’écriture dit la chose avec franchise et sans pleurs, ni effets de manche : le chemin narratif se veut fluide et dénué de fioritures. Pierre a de l’esprit et de l’éducation : il jette son dévolu sur Rachel, quelques classes sociales en dessous mais plutôt mignonne – ça compense. Les deux s’aiment, Rachel tombe enceinte : l’enfant, Christine, ne sera pas reconnue par le père avant ses quatorze ans.

Le père effacé du tableau, c’est sur cette présence maternelle – et ce double féminin – que Christine Angot se penche dans Un amour impossible : sont passés au crible la relation fusionnelle mère-fille des jeunes années, le conflit inévitable lorsque survient l’inceste et la réconciliation tardive mais efficace : le livre en est la preuve, comme un pansement de l’intime.

C’est surement cela qui choque : la crudité des sentiments condensés en quelques centaines de pages et vendus à la pelle – le « vrai » attire les lecteurs comme des mouches/moutons, c’est bien connu. Certes, Un amour impossible n’échappe pas à la règle, car Angot y est nombriliste… mais au sens prosaïque du terme : les mots racontent l’auteur avec frugalité, sans prétention à l’épanchement. Et c’est de cette sincérité assumée, écartée de tout sanglot, qu’est née la surprise : j’ai en effet apprécié Un amour impossible, malgré le ridicule du titre et quelques réserves sur le style (souvent trop chargé en onomatopées en en ponctuation incertaine).

Je suis curieuse de connaître votre opinion à propos de la surmédiatique/adorée/déconsidérée Christine Angot.
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Retrouvez ici mes lectures pour le Prix du roman des étudiants 2016.

13 réflexions sur “Bouquin #54 : Un amour impossible, de Christine Angot

  1. Je t’ai déjà donnée mon opinion en off, du coup, et c’est intéressant de lire ce billet, qui reprend les aspects positifs que tu évoquais, et certains des points négatifs que j’ai évoqués aussi (et d’autres avant moi)… Je ne suis pas « convaincue », mais une chronique n’a pas pour but de convaincre sinon d’éclairer, intriguer, par un angle nouveau, ce que tu fais bien.
    J’ai peu de sympathie pour Christine Angot qui, selon moi, ne vole pas sa réputation de voyeuriste au style anémique, mais vole complètement, en revanche, ses prix et tout le battage médiatique qu’on en fait.
    Là où tu réussis à me la rendre encore plus antipathique (ce qui est étonnant avec un billet plutôt sur le ton de la « bonne surprise »), c’est en la comparant à Édouard Louis : il y en a, des raclures de bidet, en littérature, mais d’aussi malhonnêtes que ce bonhomme, j’en vois pas beaucoup. En somme, malgré ton œil vif et dénué de préjugés (ou, du moins, tentant de s’en détacher, ce qui est l’attitude la plus saine à avoir, et tu as bien raison de l’adopter), ta lecture d’Angot, qui lui reconnaît d’ailleurs quelques maladresses de style (que j’appellerais autrement, mais bon, je suis pas sympa) confirme mon ressenti personnel : tout cela, c’est de la belle escroquerie intellectuelle.

    Voilà mon opinion au sujet de ce buzz Angot 😉 Je suis un peu curieuse d’en lire d’autres.

    Lupiot

    *Bonus humoristique 1 : Pierre Jourde, dans « La littérature sans estomac », dont je te parlais :
    « C’est ainsi que, dans un esprit toujours résolument moderne, Christine Angot fait un usage très personnel de la répétition :

    « Il met des clémentines sur son sexe pour que je les mange. C’est dégoûtant, dégoûtant, dégoûtant, dégoûtant. »

    Déplorons ici un peu de timidité dans la redite. Une page, une page et demie de « dégoûtant » auraient donné à la phrase sa pleine puissance. Autres exemples (les cas sont innombrables) :

    « Tous ces gens-là, c’est impossible, impossible, impossible, impossible de les appeler ».

    « J’accouchais Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore Léonore Marie-Christine Léonore Léonore Léonore Léonore Marie-Christine Léonore Léonore Léonore. Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore. Léonore Marie-Christine. Marie-Christine Léonore ».

    On regrette d’interrompre un tel régal. Car cela continue. La prose ici se fait musique, on songe à « La fille de Minos et de Pasiphaë », du regretté Jean Racine, ou à l’alexandrin d’Alphonse Allais : « Jean-Louis François Mahaut de la Quérantonnais ». Et puis, c’est toujours une demi-page de remplie. Au prix où se négocie la demi-page de Christine Angot, elle aurait tort de se priver. »

    *Bonus humoristique 2 : http://changedethon.com/2016/01/08/edouard-louis-et-christine-angot-decident-de-se-violer-mutuellement-et-decrire-un-livre-a-quatre-mains-afp/

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    1. J’apprécie les bonus, surtout le deuxième 🙂
      Mais là où tu vois des raclures de bidet, je pense qu’il y a un certain talent associé à une méfiance du public face au cru de la littérature sociale. Quant à ce que dit Jourde, c’est assez gratuit tout de même. Je ne suis pas contre les répétitions, il faut les accepter comme faisant partie de la poétique personnelle de l’auteur, même si le deuxième exemple (Marie Christine Leonore, etc etc etc…) fait mal aux yeux au bout de deux lignes.

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      1. En fait, Édouard Louis et Christine Angot, la raison principale pour laquelle ils me sont antipathiques, mais c’est très flagrant pour Édouard Louis, c’est vraiment en ce qui concerne la malhonnêteté du discours. Si tu creuses un peu le bonhomme, son histoire de distinction sociale (bien commode pour un adepte de Bourdieu…) c’est du flan. Construit de toute pièce. Et, du coup, se servir de la littérature à des fins d’ascension sociale de *cette* façon là, c’est, à mon avis très personnel, malsain. La culture, la littérature (le cinéma, la musique) fidèle au paysage social, aussi cru, coloré, brut, divers qu’il soit, ça m’intéresse, et même souvent, j’adore ça. Mais moins lorsque c’est porté par une combinaison de nombrilisme, de mensonge, de voyeurisme tapageur, et d’intérêt personnel aux dents longues. (Là je parle d’Édouard Louis.)

        Les répétitions, ça peut être très intéressants, oui ! J’ai pas l’impression que celles d’Angot me touchent particulièrement, mais en soi, c’est une figure de style comme une autre.

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      2. Je ne te rejoins pas sur ce point là. Edouard Louis avait terminé sa transfusion de classe lorsqu’il a publié « En finir avec Eddy Bellegueule », et comptait déjà dans son entourage de solides appuis, donc je ne pense pas que la production littéraire l’aie aidé dans son ascension sociale, sauf en termes de revenus, évidemment.
        Je ne vois pas en quoi les écrits nombrilistes dérangent, tant qu’ils n’encouragent pas à la plainte. Chez Angot comme chez Edouard Louis, le propos est autocentré mais à aucun moment je n’ai eu l’impression que l’auteur cherchait à nous tirer des larmes ou de la compassion (c’est ce que je déteste absolument en littérature).
        Quant au mensonge… quel récit n’est-il pas fantasmé ? La frontière entre ces deux termes est ténue, elle résulte d’une différence de perception, négative d’un côté, neutre de l’autre. Quoi qu’il en soit, mensonge ou fantasme sont intrinsèque à toute création littéraire, et je suppose qu’Angot, notamment par l’aspect très brut de son récit, a souhaité retranscrire la vérité au plus près, sans forcément y parvenir.
        Concernant l’intérêt personnel… c’est une spéculation du grand public (sur laquelle jouent beaucoup les médias) qui en appelle aux sentiments les plus banals : jalousie, atteinte à la dignité, désir de gratter sous le vernis pour voir si ça bouge… Si les auteurs réussissent et touchent le pactole sur des écrits sordides, c’est aussi et surtout grâce à un lectorat solide. Leurs intérêts personnels sont donc à la mesure de l’appétit du public pour les histoires qu’ils livrent, et c’est à nous, lecteurs (voire consommateurs de ce genre d’histoire) de nous remettre en question.

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      3. Là où tu comprendras mieux mon opinion d’Edouard Louis c’est que je ne crois pas du tout à sa « transfusion » de classe, d’une part (les éléments de doute sont accablants, mais on n’est pas ici pour parler de la vérité de la vie d’un écrivain, du reste, cela importe assez peu), mais surtout que tout son propos tend à distinguer les ploucs arriérés des parisiens éduqués. Et justement, oui, c’est très important de se remettre en question en tant que consommateur culturel, mais aussi de remettre en question les objets culturels que l’on nous fournit. Un apologue de la supériorité sociale normalienne et de la distinction bourdieusienne, cela fait fantasmer, mais parallèlement, on est libre de le lire comme un flagrant artifice. Edouard Louis ne serait pas le premier à s’inventer un passé difficile et construire son identité dessus ; ce qui (me) gêne c’est le discours qu’il tient à ce sujet.

        J’évite de m’étendre sur le style d’Angot en fait, car c’est vrai qu’il ne me plaît pas et que je le trouve mauvais, mais, à cet égard, en revanche, je reconnais ma totale, mais totale, subjectivité (et gratuité). (Comme Jourde, d’ailleurs. Qui est gratuit et méchant, mais c’est pour ça que j’adore.) Par exemple, je trouve que Marguerite Duras écrit MAL, ce qui ne l’empêche pas d’être (très) appréciée 😀

        Sur de tels écrits (Angot, Louis) en revanche je suis gênée par les postures tenues, comme tu le vois ! Et cela n’est pas détachable de l’œuvre littéraire *lorsque* celle-ci repose dessus. Mais nous ne voyons pas ces « postures » de la même façon… Ce qui est, a minima, très intéressant.

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      4. Je n’ai pas eu (pas demandé) de preuves du parcours d’Edouard Louis quand à son ascension sociale, alors mensonge ou non, je ne demande qu’à voir des éléments concrets. Je viens moi même d’un pays « de ploucs », campagnard et parfois pas fin pour un sou, et je revendique cette appartenance culturelle ; pourtant je n’ai pas perçu les écrits d’Edouard Louis comme condescendants et pour avoir rencontré le bonhomme lors de la parution de son premier bouquin, je l’ai trouvé très accessible, très humble (ce qui a peut être changé depuis, qui sait). Au pire, peut être ses propos étaient-ils chargés d’une certaine tendresse envers les prolos du coin, mais rien de narquois.
        La posture que tu évoques vis à vis d’EL et de Angot diffère donc selon les interprétations, à ce que je vois…

        (Quand à dire que Duras écrit mal, c’est acceptable, mais ça me hérisse le poil) 🙂

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    1. Comme tu le vois dans le débat des commentaires, on pense tout et son contraire sur Angot. Du coup, le mieux est de se faire un avis personnel 🙂 moi non plus je n’avais jamais lu l’auteur, et peut être que certains de ses autres romans sont plus trash et me déplairaient, mais celui ci est une preuve d’amour très douce.

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  2. Bonjour
    La passion d’écrire de Christine Angot est un fait établi et puissant. Si puissant qu’elle en a fait une vie. On n’est pas pour autant obligés d’aimer ses livres.
    J’avais trouvé « une semaine de vacances » saisissant mais cet amour impossible m’a ennuyée au possible. Toujours un peu bizarre de se trouver baillant en tournant un peu rapidement des pages qui évoquent ce si difficile sujet de l’inceste, mais voila. Le coup de grâce de l’ennui me fut donné par l’interminable analyse de fin. Un recit brut sans analyse, soit, mais un tel dépouillement pour retrouver tout le paquet analytique dans une masse finale sans grande finesse, bof. Je n’aime pas cette construction séparatiste.
    Mais voila, elle l’a fait comme ca. Et il y a certainement des lecteurs pour y adhérer.
    Bonnes lectures!

    Sylvie de troisrouges.com

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